Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui tout de suite m’apparente à cette religieuse. Deux Français de l’Est, au milieu de cette multitude, croient si bien se comprendre ! J’éprouve un sentiment de fierté et de reconnaissance attendrie. Je me surprends à dire intérieurement : « Ma Sœur, nous vous remercions d’employer si bien les trésors de notre race, et de nous faire tant d’honneur ! » Et j’essaye de voir clair. La morale chrétienne, la règle, c’est un joug pesant, au dire de très bons chrétiens. Oui, répondent d’autres esprits, également religieux, mais un joug que l’usage peut alléger. Quant à ces filles de Monsieur Vincent, pas un de leurs mouvements qui ne crie : « La règle, la morale, un joug ? Eh ! ce sont deux ailes, pour nous élever vers une destinée plus heureuse ; deux moyens d’accéder au bonheur. Pesante, la morale chrétienne ! Mais elle nous soulève. » De là cette allégresse paisible et constante que respirent tous leurs propos et tous leurs actes.

Avec une générosité joyeuse, la Sœur me vante la reconnaissance des enfants de Damas. Ils savent qu’on leur fait du bien ; ils désirent tant être instruits, afin de gagner leur vie !

— Les familles musulmanes, continue la noble religieuse, sont d’une moralité supérieure. L’Islam est une religion qui conseille de bonnes choses. Il y a des différences entre les races, mais, le premier moment passé, toutes s’entendent.

Enchanté de ces Filles de la Charité, qui ne savent que courir avec gratitude au secours de la souffrance, je quitte leur maison d’enseignement pour aller à l’Hôpital français, qu’elles tiennent sans recevoir d’aucun côté aucune subvention. Elles sont très dépourvues. Après huit ans, j’ai encore dans la mémoire l’accent de chagrin de la sœur qui me guidait, quand elle me confessa en baissant la voix qu’elles manquaient de lits pour les pauvres.

Les êtres supérieurs ont, chacun, leur rôle dans la vie, et je baise le pan de la robe de toutes les femmes, arrogantes ou modestes, qui possèdent la grâce spirituelle. Mais impossible de nier qu’il y ait une hiérarchie. Cette compassion, exprimée d’une voix baissée par la religieuse, fille de Monsieur Vincent, recouvre les cris les plus exaltés de l’amour humain ; et dans la course vers les astres, la Sœur grise survole les poètes éblouissants. On raconte que dès leur arrivée, vers le milieu du XIXe siècle, ces Servantes des pauvres ont si fort émerveillé les musulmans de