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Ils me mènent à la maison accusée, pareille à toutes les autres, et d’un extérieur misérable. Nous y pénétrons par le long corridor classique, pour tomber dans une cour intérieure, pavée de pierres multicolores, qu’un jet d’eau anime et rafraîchit, au milieu d’orangers, de jasmins et de vases fleuris. Sur le côté Nord, une grande baie entourée d’un divan, dont le sol est rouvert de nattes et de tapis, les parois revêtues de marbre niellé d’or, et le plafond de bois peint, serti dans ses rosaces de petits morceaux de miroir. Une niche du mur, en forme d’ogive, renferme les narghilés, les tasses à café, les flacons d’eau de rose et le brûle-parfum. Tel je vois ce lieu, tel il était, le soir de février, où le Père Thomas y fut attiré et immédiatement saisi, ligoté, saigné par neuf Juifs, qui recueillirent son sang dans une bassine, pour le mettre ensuite en bouteille. Pendant cette cuisine, les heures passaient ; son domestique, qui le cherchait, vint frapper à son tour à la porte. Lui aussi, les Juifs le saisissent, le ligotent et le saignent. Quelle horreur ! Et qui fait pendant à notre affaire Fualdès ! Mais à Rodez, ce sont des petits propriétaires, ligués par l’intérêt, et peut-être par des haines politiques, pour faire disparaitre leur dur créancier, et s’ils saignent leur victime, dont le sang mêlé à du son va repaître un cochon, c’est une simple précaution, pour qu’il n’en reste aucune trace. Du moins, ainsi l’attestent certaines dépositions. À Damas, ces neuf Juifs qui saignent ces deux hommes, c’est pour expédier leur sang à Bagdad, où il servira à fabriquer un pain azyme de choix. Du moins, ainsi l’attestent certaines dépositions.

Les physiologistes parlent quelquefois de types revenants. Ils entendent par ce mot des figures où revivent quelques traits des races de jadis, et qui surprennent comme des réapparitions de morts. L’ensemble des procès-verbaux relatifs à la disparition du Père Thomas ranime sous nos yeux les plus vieux rites syriens de l’offrande meurtrière. Des horreurs insensées reposent depuis des siècles dans les fonds de la magie. L’émoi soulevé autour du mystère de Daoud-Arari rappelle l’affaire si curieuse des étudiants de Béryte, au VIe siècle, telle que nous la raconte Zacharie le Scholastique, dans sa Vie de Sévère.

Des étudiants, originaires de Thessalonique, d’Héliopolis, de Tralles et de Thèbes, entraînèrent au milieu de la nuit un esclave éthiopien dans le cirque de Béryte, pour l’égorger selon les règles,