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de café, un compliment écouté et jamais interrompu, sont de petites joies ; cette vie où l’on jouit des détails, des minimes agréments, des délicatesses, où l’on regarde indéfiniment un rosier, un rossignol se détacher sur le néant. Quel repos pour l’esprit, quel aimable ralentissement des fièvres trépidantes de notre industrialisme ! Durant les heures chaudes de cette belle journée, j’écoute couler le temps ; et toutes les propositions de cette ville, plus que chez nous, me semblent à la mesure de mes forces.

Le soir, j’ai gravi la côte de Sàléhiyé, pour mieux respirer et pour voir d’ensemble l’oasis. Une côte ocreuse et ruinée, une colline du Tage, plus rocheuse et plus haute que celles de Tolède. De là, devant nous, sur un horizon assez proche, des collines couleur de chameaux. Dans l’intervalle, à nos pieds, un immense espace d’abricotiers, d’oliviers, de pêchers, d’arbres fruitiers, jamais taillés, d’où s’élancent des peupliers. Au centre de cette verdure heureuse et reposante, se rassemble la ville, semée de minarets. La direction de Jérusalem et de La Mecque est marquée par le Meïdan, très longue et très mince traînée de maisons, que j’ai suivie ce matin, route de la caravane sacrée…

Rien de tout cela, grâce aux toits de tuiles, n’est proprement oriental, et les maisons modernes gênent la vue. Quelques chiens désabusés trottent sur les pentes ; des chèvres, plus haut. Partout de misérables dépotoirs. La terre de Sàléhiyé semble faite de ces tessons de pots avec lesquels le patriarche Job se grattait sur son fumier. N’importe ! Damas, c’est le seuil du désert, la fontaine paradisiaque où cent mille nomades, perpétuellement renouvelés, viennent se mêler à trois cent mille musulmans sédentaires ! Un rêve, vieux comme le monde, repose sous ses peupliers, au bord du rapide torrent. Damas, si jeune, si vieille, étalant ses misères et son immortel prestige au milieu des grandes collines fauves, nous éblouit et nous attendrit. Une des patries de l’imagination, une des résidences de la poésie, un des châteaux de l’âme.

Assez tard après le diner, je me suis promené le long du Barada ; je ne voyais ni n’entendais rien de rare : les maisons étaient européennes, les tramways roulaient, le muezzin se lamentait sur un petit minaret au-dessus de ma tête. C’était bien ordinaire, mais j’éprouvais un extrême plaisir à me sentir