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Je m’arrête à grand peine, et je prie qu’on m’excuse de tant me plaire à cet enchantement. Je ne suis pas hors de mon sujet. Ces hymnes si belles jettent une vive clarté sur les services de l’Église, modératrice des forces éternelles. On y voit notre religion épurer la matière syrienne et endiguer le flot mystique sans le détruire. Je lirai désormais avec plus de plénitude ces marginalia du génie de Racine. J’y sais maintenant retrouver, apaisées et uniquement bienfaisantes, les antiques fureurs religieuses de l’Orient.


Retirez-vous, Démons qui volez dans la nuit.


Le culte du Soleil, les chants, les danses, la glossolalie et la procession débauchée envoient leurs derniers frissons dans les rimes des strophes saintes de notre Racine ; mais ici, en Syrie, c’est toujours ma question, que pouvons-nous retrouver de ce passé ? Est-il possible qu’un temple où s’étaient accumulées, durant des siècles, tant de croyances, gise à terre, sans que celles-ci ne se soient dispersées et tapies dans les abris de la région ? Les feuilles mortes du grand arbre divin de Baalbek, où pourrissent-elles, et quelle naissance ont-elles favorisée ? J’ai hâte de retrouver leur trace aux quatre coins de cet horizon, et surtout dans la région sauvage des Monts Ansariehs…

Mais il faut patience et méthode ; ce soir, je vais à Damas.


IX. — DAMAS

Une gare de chemin de fer, des fils télégraphiques, des tramways, tous les signes extérieurs d’un urbanisme banal. Ces apports d’un jour n’entament pas l’éternité d’un tel lieu. En approchant de Damas, je viens de voir, sous la nuit qui descendait, une interminable désolation de côtes pelées, et sur la plus haute, un oratoire qui protège le tombeau d’Abel. L’emplacement du premier crime ! Quel pays que celui qui peut se permettre de telles attributions !

Sur le quai, un des aimables Damasquins qui, par amitié pour la France, sont venus m’attendre, me dit :

— J’ai écrit sur la tombe de mon père chéri une phrase que j’ai trouvée dans un de vos livres.

— J’en suis bien touché, monsieur. Et quelle est donc cette phrase ?