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voit également chez les Hittites, en Syrie. Il circulait avec les caravanes, avec les riches émigrants. Un beau jour, de passage ici, il y trouva ce qui lui plut toujours, une source, un bosquet. Et dès lors, des hommes amaigris, assoiffés, épuisés par la traversée du désert, des adorateurs que leur misère même avait préparés à l’état mystique, ont senti, en arrivant à cet endroit, se former en eux le poème divin. Ils ont cru, ils ont vu, ils ont éprouvé une présence, et prié.

Ah ! que nous sommes loin, touristes mes frères, des émotions de ces vieux pèlerins, quand nous descendons du train, en gare de Baalbek !

Toutes ces grandes choses s’engendrèrent ici, à cause d’une source. Cette eau et ce bosquet, qui verdoient et fraîchissent encore dans Baalbek, le dieu les a trouvés agréables. C’est là qu’il eut son premier autel, une simple pierre et le pieu sacré ; c’est là qu’il agréa sa première victime. J’aime ce bel endroit.

Ravi d’en avoir fini avec ces puissantes constructions administratives, derrière lesquelles je vois trop d’empereurs et de préfets, je m’émerveille de trouver, sous cet immense décor ruineux et pompeux, le. spontané, l’intime et le vrai ! Ces grandes affaires solennelles nous donnent d’autant plus le goût du simple, du primitif, de la fleur première et même des humbles racines souterraines, avant les savantes cultures et les trop pleines floraisons. Je viens avec délices dans cette prairie originaire, sous les peupliers, près de l’eau. Les enfants me crient : « Batchisch » de loin, avec cette voix forte des petits Arabes que j’entends, dans les écoles que je visite, et qui, en plissant le front, lisent très haut : « Trente huitième leçon. Je suis un garçon, Adèle est une fille… » Un mendiant avec dignité refuse qu’on le photographie, mais s’empresse pour qu’on nous apporte un canapé de satin sous les peupliers. Tout cela, d’un goût noble et familier. Devant ces mœurs, où respire un souvenir de la vie antique et de la vie des poèmes, je me dis : « Voilà ma patrie. » (Quel malheur qu’il y ait la vermine ! Sans ces puces, poux et punaises toujours menaçants, c’est d’échoppe en échoppe que je voudrais faire le voyage d’Orient.)

Et même au dieu j’ai quelque chose à dire, non au Baal à qui les caravanes brûlées, enivrées par un astre de feu, rendaient un culte effréné, mais au soleil levant, tel que le vieil Ambroise et la tradition de l’Église l’ont civilisé.