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manière la plus inconvenante, leurs filles. C’est dans ces cours qu’aux grandes fêtes se réunissaient les adorateurs ; c’est de là qu’ils partaient, à travers les rues de la ville, avec la statue du Soleil. Macrobe nous en fait une description, dans ses Saturnales : « … Quand le dieu manifestait sa volonté, ceux qui le portaient sur leurs épaules avançaient ou reculaient, comme mus par une force surnaturelle. » Deux pas en avant, un pas en arrière. Cette mazurka rituelle nous rappelle que nous avons à peine quitté la région délirante d’Afaka. Ici même, dans Baalbek, les ruines du Jupiter Soleil voisinent avec celles du temple de Bacchus, dont les bas-reliefs nous montrent le cortège des bacchantes.

Et maintenant, qu’on m’amène le dieu ! Je suis las de festons, d’astragales et de gigantesque. J’ai besoin de quelque chose d’humain et de divin. Baal, vous dis-je, ou tout au moins son catéchisme ! Le temple est vide ? Les divinités ont été brisées ou emportées ? Eh bien ! à défaut de dieux, donnez-moi des idées claires ; à défaut du divin, de l’intelligible ; et si je ne puis m’émouvoir, je me consolerai en comprenant. Monsieur Alouf, je voudrais assister aux derniers moments du dieu et avoir une vue de ses commencements. Je voudrais connaître l’heure où il fut choisi, et l’heure où il fut frappé.

Son désastre est l’œuvre des Arabes. Quand ils vinrent ici, aux premiers temps de l’Islam, ils jetèrent à bas une basilique chrétienne, édifiée au Ve siècle par Théodose, qui, lui-même, avait ruiné le temple d’Antonin le Pieux, —un temple dédié au Jupiter Héliopolitain, et si beau qu’on le classait parmi les sept merveilles du monde. Et avant Antonin le Pieux, ce qu’il y avait ici, c’était un sanctuaire syrien, dont quelques blocs colossaux subsistent dans ces ruines gréco-romaines, un sanctuaire pareil à tous les anciens temples sémites, c’est-à-dire une enceinte à ciel ouvert, et dans cette enceinte un tout petit édifice pour l’image sacrée du Bétyl.

D’où venait ce Bétyl ? De Babylone. Au fond des temps, aux plus hautes époques, on l’y trouve sous les traits du dieu Shamash : un dieu de justice, qui dissipe les ténèbres, les maléfices et les complots ; un homme des épaules de qui sortent des rayons de flamme. Son symbole, c’est le disque solaire, le disque ailé. On le voit en Egypte, ce disque ailé ; il y parvint dans les bagages, ou mieux dans le cœur d’une princesse asiatique. On le