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Je viens de voir, sur un marbre, le nom de Pierre Loti, que mon illustre confrère a inscrit de sa main, quand il parcourait ce pays, habillé en Bédouin. Je demande au photographe de prendre cette signature, mais cet homme aimable me le refuse nettement. Il est Arménien et doute des sympathies de Loti pour sa race.

Pendant deux heures, je me promène avec M. Alouf. C’est un notable de l’endroit qui, de lui-même, aimait les ruines, et qui s’est instruit en regardant les Allemands déblayer les temples. (Les Allemands avaient ici leur grand centre d’archéologie, d’où, sous couleur d’explorations d’art, leurs espions rayonnaient de tous côtés. Le savant M. Oppenheim, tout en faisant des fouilles à Tell-El-Halaf, levait des plans et travaillait en liaison avec les officiers allemands d’Alep et le grand état-major de Berlin.)

— Monsieur Alouf, que pensez-vous des amours de Salomon, et de la reine de Saba ? Est-il exact que le vieux roi ait fait construire ici un château féerique, pour l’offrir en dot à Balkis ? M. Alouf n’en croit rien, mais il admet (contre l’avis de Renan) que Baalbek peut être ce temple de Baalath que, sur le tard de sa vie, Salomon, préoccupé sénilement de complaire à ses femmes étrangères, a dédié au dieu de leur enfance… Idée charmante d’un vieillard, et si j’étais Robert Browning, je mettrais en vers la dédicace de Salomon aux femmes de son sérail et à leur idole.

M. Alouf continue de prononcer de beaux noms. Sur les propylées du temple de Jupiter, il me montre une inscription, qui atteste que ce vestibule de colonnes, l’entrée la plus grandiose de l’antiquité grecque et latine, est de Caracalla. (Caracalla avait officié comme grand-prêtre dans Baalbek.) Quant à l’escalier des propylées, nous le devons à ce Philippe l’Arabe qu’a chanté Jules Tellier.

Les deux cours qui précèdent le grand temple étaient consacrées à toutes les divinités qu’honorait l’Empire romain. Environ cinq cent soixante niches vides, et qui n’ont même plus de mémoire. À peine si l’on peut déchiffrer sur l’une d’elles le nom du Dieu-Lune, le vieux dieu de la ville de Ur, celui qui guidait les nomades dans le désert. Entre tous ces déchus, Vénus et la Volupté occupaient le premier rang dans l’estime des habitants de Baalbek, qui leur dévouaient, de la