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la carrière fixée. Le second, moins fort et moins rapide, a une robe sombre, dont un seul côté s’illumine aux rayons du soleil ; le troisième marche plus lentement encore, et le quatrième pivote sur lui-même en rongeant son frein d’acier, tandis que ses compagnons se meuvent autour de lui comme autour d’une borne. Le quadrige tourne longtemps sans encombre, accomplissant sa course perpétuelle ; mais, à, un moment donné, le souffle brûlant du premier cheval, tombant sur le quatrième, enflamme sa crinière superbe ; puis son voisin, s’étant épuisé en efforts, l’inonde d’une sueur abondante. Enfin se passe un phénomène plus merveilleux encore ; l’apparence de l’attelage se transforme, les chevaux changent entre eux de nature, de telle sorte que la substance de tous passe au plus robuste et au plus ardent d’entre eux, comme si un sculpteur, ayant modelé des figurines de cire, empruntait à l’une de quoi compléter les autres, et finissait par les fondre toutes en une seule. Alors le coursier vainqueur de cette lutte divine, devenu tout puissant par son triomphe, s’identifie au conducteur même du char… Le premier cheval est l’incarnation du feu ou de l’éther, le deuxième de l’air, le troisième de l’eau et le quatrième de la terre. Les accidents qui surviennent à ce dernier représentent les incendies et les inondations, qui ont désolé et désoleront notre monde, et la victoire du premier est l’image de la conflagration finale, qui détruira l’ordre existant des choses. »

Au fond de ces imaginations subtiles et barbares, je n’espère pas retrouver vivants les sentiments qui cherchaient à s’y satisfaire ; mais j’aime tenir, un instant, dans ma main, comme des abraxas ou des pierres lunaires, ces riches énigmes sacerdotales.

Le diable soit du fâcheux ! Voici qu’un photographe surgit d’entre les ruines, et tout un groupe d’indigènes. Eh bien ! je ne tomberai pas dans l’irréflexion ou l’hypocrisie de m’en plaindre. En vérité, je serais bien en peine si l’on me disait : « Va, circule, tire-toi d’affaire avec tes propres ingéniosités. » J’accepte, comme un bonheur, toutes les obligeances qu’on me prodigue, et les facilités que l’époque commence à multiplier. Qu’ils soient donc bénis, le chemin de fer qui m’a dispensé d’une caravane, l’hôtel qui m’abritera et cet aimable photographe, grâce à qui j’emporterai des images exactes de ces brèves minutes !