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allemand n’ait pas su faire comprendre aux peuples français et belge qu’il serait prêt à contribuer, pour une très large part, à la reconstruction des régions dévastées, et à contracter de gros emprunts extérieurs. Ce langage, nouveau dans la bouche d’un grand industriel, est peut-être un signe des temps.

L’occupation des ports de Mannheim et de Carlsruhe et de la gare de Darmstadt a été, pour la presse, le prétexte d’un paroxysme incroyable d’injures et de provocations et, pour le chancelier Cuno l’occasion d’organiser une grande mise en scène. Il a convoqué le Reichstag à une séance extraordinaire le 6 mars ; il y a prononcé un long discours qui semble avoir un double objet. Il s’agit d’abord de galvaniser la résistance qui, dans la Ruhr et dans tout l’Empire, fléchit ; on parle beaucoup de négociations : puisqu’il faudra en passer par là, mieux vaut plus tôt que plus tard. Le Chancelier veut couper court à cette tendance ; le point central de sa harangue paraît être cette phrase : « Il faut en finir avec les discours sur des négociations et avec les invitations à négocier. Ces invitations devraient s’adresser au peuple français et non au peuple allemand. » Il veut ensuite provoquer des interventions étrangères et il bat le rappel : « L’univers est muet... Après sept semaines de lutte pour le droit de notre peuple, pour le progrès et la paix du monde, nous sommes seuls, encore seuls... Nous luttons maintenant pour la liberté du peuple d’Allemagne, mais nous luttons en même temps afin que l’union loyale des peuples remplace la dictature militaire, nous luttons pour le droit et la justice. » Le Chancelier, dans son zèle, exagère : son Allemagne apparaît mal à l’aise dans le rôle de protectrice du droit. Si le bon droit était, aussi évidemment qu’il le dit, de son côté, l’univers, qu’il accuse d’indifférence, s’en apercevrait, comme il s’est aperçu, en août 1914, qu’il était de l’autre côté. La France, selon lui, a perdu son honneur et elle ne gagnera rien ; l’Allemagne a toujours voulu un règlement équitable des réparations ; et M. Cuno aligne un compte fantastique de 56 milliards et demi de marks-or, auquel se monteraient les prestations qu’elle a effectuées. Le discours du 6 mars favorisera peut-être l’emprunt or intérieur, que le Reich cherche en ce moment à réaliser ; mais il n’est qu’un épisode dans la lutte ; il ne nous fait pas avancer d’un pas vers les solutions nécessaires ; l’heure est passée des plaidoyers, des sophismes, des mensonges et de la poudre aux yeux.

En face de cette Allemagne agitée, fiévreuse, prête à se jeter peut-être dans les pires folies, la calme résolution de l’opinion française