Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la raison. On affirme que les Français conquièrent par les armes et veulent annexer le bassin de la Ruhr ; les évêques luthériens suédois, qui n’ont de la candeur que l’apparence, en appellent aux puissances laïques et religieuses d’une si injuste violence. Passons sur ces insanités ; elles n’auraient aucune importance si elles n’étaient inspirées et réglées par le Gouvernement. La rage des dirigeants allemands qui voient renversés leurs projets d’avenir et dévoilé leur ingénieux système d’hégémonie économique et politique par la banqueroute monétaire, s’exprime avec une violence inouïe. Ils font grand état d’un projet de réparations que M. Bergmann devait, assurent-ils, soumettre oralement à la Conférence de Paris ; s’ils le publient, comment prouveront-ils qu’ils n’est pas rédigé après coup pour les besoins de la cause ? Il s’agit, là encore, d’un trompe-l’œil, d’une de ces manœuvres d’opinion en vue desquelles tout est calculé et mis en scène.

La situation du chancelier Cuno paraît très ébranlée ; peut-être serait-il déjà tombé s’il se trouvait quelqu’un pour prendre sa place. A côté des anciens militaires, des hobereaux, qui constituent la vieille droite prussienne, qui restent intransigeants et qui poussent à la rupture dos relations diplomatiques et à la guerre, une autre opinion plus opportuniste se dessine, dont M. Stresemann, chef des populistes, se fait le porte-parole ; on admet la nécessité d’une négociation, pourvu que ce ne soit pas en tête-à-tête avec la France et la Belgique : bref, le parti des grands industriels se préparerait à céder en sauvant la face et en se donnant l’air de poser des conditions. Les social-démocrates sont plus nets : pour M. Wels, « l’évacuation de la Ruhr doit être le but, non la condition préalable des pourparlers. » Kautsky raille ceux qui voudraient que l’Allemagne entreprît une offensive militaire, et qui comptent sur les Bolchévistes. « Il n’y a pas d’allié moins sûr que la Russie des Soviets. Si nous faisions appel à elle, celle-ci n’aurait aucun scrupule à nous entraîner dans la pire des aventures, pour ensuite, nous abandonner au moment décisif. » Les socialistes, d’ailleurs, ne cessent pas de prêcher la résistance, mais ils admettent qu’elle n’aura qu’une efficacité relative et qu’elle ne peut servir qu’à faciliter les négociations. Un grand patron, M. Krupp von Bohlen, a adressé à Essen, le 5, une allocution à ses ouvriers, qui contraste, par un ton de sérieux et de dignité, avec les extravagances des nationalistes ; il semble ouvrir la porte à « une négociation au sujet de l’échange des minerais de fer et de charbon ; » il regrette que le Gouvernement