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dévoré la Germanie, il dévora l’Empire. » Une Germanie délabrée délabra davantage une ruine qui s’écroulait. C’était l’époque des grandes décompositions. Imaginez quelque invasion de bandes bolchévistes pénétrant en Allemagne, soit par la complicité des masses, soit à l’appel des grands chefs de l’industrie ou du nationalisme et vous pouvez vous figurer quelque chose de ce qui s’est passé au Ve siècle dans cette étroite Europe dont la vie fut si courte et se recopie sans cesse.

Qu’on ne nous parle donc plus de ces peuples aux mœurs pures, de cette Germanie « mère des nations, » de ces desseins concédés, ni d’une irruption providentielle pour régénérer le monde ! La fable du paysan du Danube est une belle histoire inventée au XVIe siècle. Le vrai « paysan du Danube » était un outlaw qui, d’abord à la solde de Rome, se retourna et ravagea ou usurpa le bien qu’il avait juré de défendre : l’invasion est surtout une rébellion de garnisaires appelant leurs congénères et leur donnant à partager un domaine en déshérence.

Nous ne citerons les termes de ces conclusions célèbres que pour permettre de porter un jugement exact sur l’historien : « Il nous semble donc, écrit Fustel de Coulanges, qu’on a exagéré l’importance de l’invasion du Ve siècle. Elle n’a apporté ni un sang nouveau, ni une langue nouvelle, ni de nouvelles conceptions religieuses, ni un droit particulier, ni des institutions qui vinssent directement de la Germanie. Elle n’a pas substitué, sur la terre gauloise, un caractère et un esprit germaniques au caractère et à l’esprit gallo-romains.

« Ce n’est pas à dire qu’elle n’ait eu de grandes conséquences pour la suite de l’histoire ; mais ces conséquences ont été de la nature de celles que toute autre invasion, partie de toute autre race, aurait produites. C’est comme simple invasion, ce n’est pas comme triomphe d’un peuple et d’un esprit nouveau qu’elle a eu d’importants résultats. Elle a mis le trouble dans la société, et c’est par cela qu’elle a exercé une action considérable sur les âges suivants. »

En deux mots, pas d’empreinte germanique profonde en terre gallo-romaine. La civilisation moderne n’est pas « née dans les bois ! » les origines de l’Europe civilisée sont foncièrement méditerranéennes, quels que soient l’abandon et l’état de délabrement où se sont trouvées les institutions politiques de l’antiquité.