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et la haute envergure philosophique de cette théorie, et aussi par les remarquables vérifications qui la sanctionnent. L’océan est conçu dans son ensemble comme un assemblage de divers bassins qui se comportent individuellement comme des résonnateurs vis à vis de l’action luni-solaire perturbatrice, ou du moins vis à vis de certaines périodes composantes de cette action. Des lors, chacun de ces bassins devient le siège d’une marée dominante qui tend à se propager en dehors des limites du système et y interfère avec les marées prépondérantes distinctes des bassins voisins.

Sans qu’il me soit possible d’entrer ici dans le détail, il faut constater que les caractéristiques les plus importantes de toutes les mers du globe se trouvent fort bien expliquées, lorsqu’on les calcule en partant de la conception de Harris.

Pour ne prendre qu’un exemple, — entre cent, — de ces vérifications saisissantes, nous avons vu que la mer de Chine se comporte comme un résonnateur vis à vis du système diurne Nord-Pacifique sur lequel elle débouche. D’autre part, l’onde semi-diurne, — qui est partout ailleurs prépondérante, étant l’onde fondamentale de la marée lunaire, — n’arrive dans le golfe du Tonkin qu’après avoir contourné par le Nord et le Sud l’île d’Haïnan, de telle sorte que les deux branches de cette onde interfèrent et s’annulent ensuite. D’où le caractère exclusivement diurne de la marée dans cette région, que nous avons signalé plus haut et qui a été longtemps considéré comme une anomalie.

Telles sont quelques-unes des clartés que le calcul projette aujourd’hui sur les rythmes marins. Si Neptune ne sillonne plus les vagues dans sa conque d’or, parmi les tritons bondissants et les souples sirènes, nous pouvons nous en consoler. Le trident en carton doré de la mythologie n’égale pas le compas glorieux d’un Newton ou d*un Poincaré. En allant chercher jusqu’aux astres les causes du mouvement des eaux, nous avons agrandi, vivifié la poésie de la mer. Sa plaintive musique n’a pas moins de charme qu’au temps du vieil Homère et ses tempêtes mêmes demeurent apaisantes, qui évoquent l’universelle fluidité des choses et le néant des fracas les plus superbes.


CHARLES NORDMANN.