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se déclara prêt à condamner les cinq propositions, mais refusa de reconnaître qu’elles aient jamais été formulées par Jansénius. Ce fut la célèbre distinction du droit et du fait, fondement de toute la résistance janséniste. Personne mieux que l’oratorien J.-J. Du Guet, n’a exprimé les raisons de conscience et de bon sens qui légitimèrent alors le refus de signature :

« Il est étonnant qu’on ait établi un formulaire pour faire signer la condamnation d’un livre épargné à dessein dans le commencement, enveloppé ensuite par artifice dans la censure de quelques propositions dont il enseigne les contradictoires, examiné avec si peu d’attention en France, et ne l’ayant été nulle part.

« Il est inouï dans toute l’antiquité, qu’on ait condamné un auteur pour des propositions qui ne fussent pas conçues dans ses propres termes. On n’en pourrait citer aucun exemple, et quand on en pourrait citer un exemple, ce serait un scandale, et non pas un exemple, parce qu’il est de droit naturel de ne rendre un auteur responsable que de ce qu’il a dit et non de ce qu’on a substitué à ses paroles...

« Il est inouï que, lorsqu’il n’y a personne qui enseigne ou qui défende l’erreur, qu’il n’y a ni chef ni disciples, qu’il n’y a point ombre de secte ni de parti, et que les preuves en sont aussi évidentes que le soleil, on ait établi une formule pour faire signer à tout le monde la condamnation d’une erreur qui est rejetée de tout le monde...

« Enfin, il est inouï que, dans un temps où l’on avait tant à craindre d’une erreur naissante [le molinisme], on se soit appliqué à l’accréditer en frappant d’anathème un livre composé pour le réfuter, et en obligeant tout le monde, sous de grandes peines, à jurer que l’anathème prononcé contre le livre et contre la doctrine qui y est contenue est juste et qu’on en est persuadé. »

Depuis, les prétendus jansénistes n’ont jamais tenu un autre langage. Parce qu’ils se sont acharnés à soutenir que les cinq propositions n’étaient pas dans l’Augustinus (on ne leur a jamais prouvé qu’elles y fussent), l’Église a été troublée pendant plus d’un siècle, Port-Royal a été anéanti, des justes ont été persécutés et retranchés de la communion des fidèles. Orgueil, a-t-on dit, ou bien excès de scrupule, car en définitive l’objet de la dispute n’était qu’un point de fait bien secondaire. Non, répondent-ils,