Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

approuvé par cinquante docteurs réguliers ou séculiers. — Saint-Cyran, ami de Bérulle et de saint Vincent de Paul, fut emprisonné sur l’ordre de Richelieu pour des raisons de politique assez obscures ; mais dans ses papiers, pas plus que dans ses livres, on ne découvrit un mot qui pût justifier une accusation d’hérésie, pas une proposition suspecte. Il ne fut jamais blâmé par le Saint-Siège, ni même censuré par la Sorbonne. Sainte Chantal voyait en lui « un saint homme tout apostolique qui souffrait pour la vérité et pour la justice. » Six évêques ou archevêques assistèrent à ses funérailles. — Antoine Arnauld a publié quarante-trois volumes qui n’encoururent aucune censure ecclésiastique. Au siècle suivant, le pape Benoit XIV devait applaudir à l’édition de ses œuvres complètes. Bossuet, qui l’estimait, ne lui fit jamais qu’un reproche, celui de n’avoir pas abandonné la défense de l’Augustinus. Son ouvrage de la Fréquente communion, réfutation très modérée d’une consultation passablement scandaleuse qu’un jésuite avait adressée à la princesse de Guéménée, fut approuvé à Rome. C’est un « livre admirable, » disait l’archevêque Péréfixe, peu suspect d’indulgence à l’égard des gens de Port-Royal.

D’où vient que ces catholiques irréprochables furent soudain assaillis de calomnies, traités comme des Luther et des Calvin ?

Pour comprendre cette aventure, il faut remonter aux dernières années du XVIe siècle, au procès de l’Université contre les Jésuites. En 1594, l’avocat Arnauld avait plaidé pour l’Université, puis, huit ans plus tard, il avait composé contre la Compagnie le Franc et véritable discours au roi Henri IV. Il était mort, en 1619, laissant vingt enfants et dix neveux et nièces, la grande famille des Arnauld qui réforma, peupla et défendit Port-Royal. Le ressentiment des Jésuites s’exerça contre toute la tribu et ses amis, c’est-à-dire Jansénius et Saint-Cyran. Mais, en cette affaire, ils ne poursuivaient pas seulement des représailles contre qui avait voulu leur barrer la route et contrecarrer leur influence, ils prenaient hardiment l’offensive, afin d’assurer le succès de leurs doctrines nouvelles sur la grâce. Traités de pélagiens par les Pères du concile de Trente, solennellement condamnés par l’Université de Louvain, inquiets de la réprobation qu’avait soulevée jusqu’à Rome le fameux ouvrage de Molina, ils accusèrent d’hérésie tous les antimolinistes, travestirent leurs maximes, incriminèrent leurs intentions, détournant