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je n’y suis jamais entré, et je ne sais même pas où elle se trouve ; mais on m’a prêté, grâce à M. Parent-Duchâtelet, des livres précieux qui en provenaient. Entrez-y, vous y trouverez des trésors. » Cependant Gazier avait peine à garder son sérieux, car il avait dans sa poche la clef de la bibliothèque. Mystérieuse était la bibliothèque janséniste, et mystérieuse elle est restée. Les mieux renseignés savent qu’il existe à Paris, quelque part, une riche collection d’imprimés et de manuscrits amassés par les « amis de la vérité. » Dans son dernier livre, Gazier a révélé que cette bibliothèque fut logée rue de la Parcheminerie, numéro 10,... en 1828. Depuis elle a été transportée ailleurs. Ce n’est pas nous qui manquerons au souvenir de Gazier en disant son secret. Le goût du mystère, c’est le pli des persécutés. Aux temps du Formulaire et de la bulle Unigenitus, les jansénistes furent forcés de ruser avec leurs adversaires, de chercher des refuges et des cachettes ; ils prirent l’habitude de la méfiance. A tort ou à raison, Gazier s’imaginait que les ennemis, les éternels ennemis de Port-Royal, rôdaient toujours autour de la place ; il surveillait son arsenal. Ajoutons-le tout de suite, jamais un écrivain loyal et désintéressé ne s’est vainement adressé à lui pour obtenir communication des précieux documents du fonds janséniste. Avec une obligeance infatigable, il mettait livres et archives à la disposition des travailleurs, même les plus modestes, dès qu’il était certain de leur bonne foi ; non content de leur livrer ses trésors, il leur faisait largesse de sa propre érudition, qui était vaste et sûre.

Il y a donc, au premier étage d’une vieille et sombre maison, dans un grand appartement carrelé, plusieurs pièces remplies de volumes rares et de manuscrits du plus haut intérêt pour l’histoire religieuse des trois derniers siècles. Tout y est parfaitement catalogué et classé. Cette collection provient en majeure partie de la grande bibliothèque de l’avocat Adrien Le Paige qui, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, fut un janséniste notoire. D’autres legs vinrent l’augmenter. Elle renferme des éditions rares, des exemplaires uniques, des correspondances inédites, des pièces inestimables, comme les actes originaux des religieuses de Port-Royal calligraphiés par sœur Catherine de Sainte-Suzanne de Champaigne, des mémoires, des procès-verbaux, des traités de théologie, des pamphlets, des feuilles périodiques, tout ce qui peut éclairer l’histoire du