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raisons d’être et leurs principes. Ce qui n’était pas établissement germain était usurpation. Le Gallo-Romain devait rester, à tout jamais, un être inférieur, un serf conquis et attaché à la glèbe. D’étranges doctrines, consécutives à cette étrange captation d’héritage, se développèrent : le droit de conquête, le droit de partage des biens, le droit de confiscation et de pillage en honneur aux temps des invasions germaniques demeurent la règle des relations entre les peuples ; s’autorisant du système de la sélection des races, Lamprecht et son école ne tendaient à rien de moins qu’à étendre ces maximes jusqu’au monde nouveau qui serait créé par les nécessaires et prochaines invasions germaniques. La lutte ne serait pas seulement entre deux armées, mais entre deux races : l’une noble, l’autre esclave, l’une eugénique, l’autre décadente. Dans la guerre prévue et à la suite de la victoire certaine, le peuple conquérant s’emparerait des biens, des femmes, des enfants du vaincu et ainsi inaugurerait une nouvelle phase de la civilisation européenne, comme les anciennes invasions avaient renouvelé, épuré, rajeuni le monde gallo-romain.

Fustel de Coulanges comprit, longtemps d’avance, que le nœud des conflits futurs était là, et, courageusement, seul, prenant à bras le corps cette prétendue école scientifique, il lui fît mesurer le sol. Au milieu de quelles clameurs il accomplit cette tâche, il faut avoir vécu en ces temps pour le savoir ! En France même, la critique se souleva contre l’audacieux novateur ; il fut frappé si rudement et harcelé si perfidement, qu’à diverses reprises la patience lui manqua ; il dut interrompre son travail et se retourner sur le chantier pour faire tête à ses adversaires. L’œuvre en fut suspendue et, finalement, laissée incomplète. Les critiques du vaillant lutteur portent cette responsabilité. Le monument n’a pas son couronnement parce que le constructeur n’a pas été respecté dans la sérénité de son immense travail.

Cependant le grand véridique, l’homme de la science scrupuleuse a vaincu. Aujourd’hui, grâce à lui, l’histoire européenne est remise sur sa base. Les invasions germaniques sont ramenées à leurs réelles proportions : il s’agit d’un désordre se superposant à un autre désordre, d’une maladie sociale suite d’autres maladies sociales, d’une infortune s’accumulant sur d’autres infortunes ; le tout ayant fait peu de bien pour un mal durable et profond.