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L’opinion de M. Hébert était d’autant plus positive, qu’il avait toujours constaté chez le Roi une appréhension extrême de l’échafaud. Garde des Sceaux, il lui avait fallu soutenir parfois des luttes énergiques pour obtenir de Louis-Philippe le rejet d’un recours en grâce. Un jour, comme M. Hébert insistait pour que Louis-Philippe signât l’un de ces rejets, le Roi lui dit :

— Vous n’avez donc jamais rêvé de l’échafaud ?

— Jamais, Sire, répondit le ministre.

— Eh bien ! moi, j’y ai rêvé plus de mille fois. J’ai même senti, dans ces rêves, le froid du couteau pénétrer dans ma chair.

Si donc le Roi, en apprenant à Dreux la proclamation de la République, s’est déterminé à fuir, c’est peut-être bien que cette vision de l’échafaud, si souvent apparue dans ses rêves, s’est alors représentée à son esprit [1].

Mais les sentiments opposés que créaient en lui, d’une part, la conscience innée de la noblesse de sa race, et d’autre part l’éducation qu’il avait reçue, peuvent aussi, nous semble-t-il, expliquer la conduite du Roi. Par sa naissance, il se sentait usurpateur de la couronne ; par ses principes, il s’en trouvait régulièrement détenteur. Prince du sang, Louis-Philippe restait pénétré des égards dus à la majesté souveraine ; enfant de la Révolution, il se contestait le droit d’imposer par la force le respect de son autorité.

Les fils de Louis-Philippe n’échappèrent point, pour la plupart, aux conséquences de ce double état d’esprit. Seul, peut-être, parmi eux, le Duc de Nemours fut exclusivement prince, et tel il se montra dans la néfaste journée du 24 février.

Après la révolution de Février, l’opinion publique en a fait principalement retomber la responsabilité sur le parti conservateur. Ce jugement paraît injuste. M’aidant des notes que mon père m’a laissées, je résumerai ainsi les causes qui, suivant lui, occasionnèrent la chute du Gouvernement de Juillet.

Dans les luttes ardentes qui précédèrent cette chute, aucun moyen n’avait été négligé par les diverses oppositions pour dépopulariser le parti conservateur, et, comme c’est lui surtout qui succomba à cette époque, il ne put échapper à la condition de tous les partis malheureux et vaincus.

  1. Récit de M. Hébert.