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M. Antoine Passy ne tarda pas à venir l’y joindre et lui annonça, comme le tenant de source certaine, qu’avant deux heures les Tuileries seraient attaquées. M. Hébert pensait encore que les troupes réunies sur la place du Carrousel et sur la place de la Concorde empêcherait la ruée d’une pareille attaque, mais il ne tarda pas à apprendre ce qui s’était passé [1].


Le matin, mon père avait envoyé aux Affaires étrangères, son valet de chambre pour s’y renseigner sur les événements de la veille au soir. Il en rapporta cette nouvelle qu’il y avait eu nombre d’hommes tués ou blessés, qu’il restait sur les boulevards de larges traces de sang, que des barricades y avaient été faites, en partie construites avec des arbres abattus.

« Quelques instants après, note mon père, je vis passer une civière portant un homme mort, puis une bande composée, pour la plupart, d’enfants de quatorze à quinze ans. Cette bande, armée de sabres, de bâtons et de barres de fer, se dirigeait vers les boulevards. Bientôt M. Salgues [2] vint nous dire qu’une affiche placardée à tous les coins de rue annonçait que M. Thiers était chargé, concurremment avec M. Barrot, de la formation d’un cabinet. Le Moniteur ne tarda pas à nous confirmer cette nouvelle, faisant aussi connaître que le maréchal Bugeaud était appelé au commandement supérieur des gardes nationales. Quoique très inquiet de la tournure que prenaient les événements, Salgues ne semblait point l’être du projet de dissolution de la Chambre ; convaincu, disait-il, que les départements enverraient des députés conservateurs. Je ne partageais nullement cette opinion. »

  1. Récit de M. Hebert.
    M. Hébert resta toute la journée rue des Champs-Élysées et, le soir, de peur qu’on ne vint l’y chercher, vu les relations intimes qu’il avait avec la famille qui lui donnait asile, il se retira chez un autre ami. Il se promena même pendant trois heures dans Paris et assista à l’incendie des voitures de la Cour sur la place du Carrousel. M. Hebert ne quitta Paris que le troisième jour, espérant que le Roi, dont on n’avait pas de nouvelles, réunirait des troupes quelque part et qu’on organiserait enfin, ou que ce soit, une résistance quelconque. Néanmoins, les mandats d’amener contre lui et ses collègues, ayant été affichés, il quitta Paris avec un passeport belge pris sous le nom de sa mère et que sa femme avait été demander, le 24, à l’ambassade de Belgique. M. Hébert se rendit à Amiens, et ce ne fut que lorsqu’il apprit d’une manière certaine l’embarquement du Roi et qu’il eut perdu tout espoir de voir s’organiser une résistance, que, sur les instances de sa femme, il se détermina à passer en Belgique.
  2. M. Salgues, député du Lot.