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pour dissiper cet attroupement. Il envoya donc chercher du renfort au ministère des Affaires étrangères, et la place Vendôme fut immédiatement balayée. Craignant néanmoins que les désordres ne se renouvelassent dans la nuit, M. Hébert conduisit sa femme et son fils, chez un ami, rue des Champs-Elysées [1], puis, vers onze heures du soir, il s’était présenté aux Tuileries.

Le garde des Sceaux fut reçu dans le salon où, comme d’habitude, la Reine travaillait avec ses dames autour d’une table, tandis que la Duchesse d’Orléans, assise à côté du Roi, causait familièrement avec lui. Ce fut là que M. Hébert apprit de la Reine les événements qui venaient de se passer au boulevard des Capucines. Il lui sembla que la situation devenait dès lors beaucoup plus grave.

Louis-Philippe, de son côté, se plaignait d’être sans nouvelles de M. Molé, et déplorait de ne savoir au juste ce qui se passait dans Paris. M. Duchâtel n’était pas revenu le voir et ne lui faisait parvenir aucun renseignement. Il pria donc M. Hébert d’aller au ministère de l’Intérieur pour engager M. Duchâtel à venir aux Tuileries dire ce qu’il savait et faire connaître les mesures qu’il avait prises.

M. Hébert partit à pied avec ses deux secrétaires, M. Pron et M. Sapey, et arriva vers minuit chez M. Duchâtel. Il trouva dans le premier salon les trois dames Duchâtel [2] qui lui parurent découragées. Dans le salon du fond, le ministre de l’Intérieur causait avec M. Piscatory [3]. M. Hébert lui fit part du désir du Roi, à quoi M. Duchâtel répondit qu’il n’avait rien à faire aux Tuileries, mais qu’il transmettrait des nouvelles à mesure qu’elles lui parviendraient. M. Hébert reprit incontinent le chemin du château où en y arrivant il crut comprendre, d’après ce qui lui fut dit, que le Roi conférait alors avec M. Molé. Par discrétion, le garde des Sceaux ne voulut pas entrer et chargea un aide de camp de transmettre à Louis-Philippe la réponse de M. Duchâtel ; puis il rentra à la Chancellerie, y fit le triage de divers papiers, mettant à part ceux qui pouvaient compromettre certains magistrats auprès du nouveau ministère et, à trois heures, alla se coucher rue des Champs-Elysées [4].

  1. Rue des Champs-Elysées, aujourd’hui rue Boissy-l’Anglas.
  2. La mère, la femme et la belle-sœur du comte Duchâtel.
  3. M. Piscatory, pair de France.
  4. Récit de M. Hebert.