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quelques instants avec M. Duchâtel qui ne me parut point inquiet : « Si le Roi, me dit-il, avait voulu nous laisser faire, hier, tout aurait été terminé dans la soirée. Aujourd’hui, il n’y a eu qu’une émeute et tout est terminé ce soir. »

« Peu après cet entretien, nous partîmes et rencontrâmes dans le vestibule Edmond Leclerc [1], fort préoccupé et même fort abattu. Il répondit à peine aux quelques paroles que nous lui adressâmes. Je reconduisis Verninac chez lui, puis Armand Villeneuve au cercle de la rue de Beaune, pour de là rentrer à la maison.

« Il n’y avait devant le jardin des Tuileries et près du pont qu’un attroupement peu inquiétant. En traversant la place de la Concorde, je remarquai un régiment de cuirassiers qui se chauffaient paisiblement à des feux de bivouac ; mais, comme j’arrivai devant ma porte, un détachement de cavalerie, auquel se trouvaient mêlés des chevaux sans cavaliers, passa au grandissime galop, et j’entendis alors quelques coups de fusil du côté des boulevards. J’envoyai dans cette direction Justin, mon valet de chambre. Il n’osa dépasser la place de la Madeleine et put seulement me dire que ces coups de fusil avaient été tirés du côté du ministère des Affaires étrangères [2]. A ce moment passèrent dans la rue, se dirigeant vers le ministère et venant de la place de la Concorde, d’autres cavaliers envoyés en renfort, par suite du repli de leurs camarades. La fusillade recommença presqu’aussitôt, mais bientôt on n’entendit plus rien. Il était alors dix heures. »


Le mouvement insurrectionnel, dont mon père ne s’était aperçu qu’en rentrant rue Royale, avait commencé beaucoup plus tôt. En effet, vers les huit heures du soir, le ministère de la Justice avait été assailli par trois ou quatre cents blousiers, aux cris de ; A bas Hébert ! Le garde des Sceaux, qui, en sortant du château après la conférence tenue dans le cabinet du Roi, s’était rendu à la Chancellerie, n’avait, pour protéger son ministère, que quelques gardes municipaux trop peu nombreux

  1. M. Edmond Leclerc, maître des requêtes au Conseil d’État, chef du cabinet du ministre de l’Intérieur.
  2. Le ministère des Affaires étrangères était alors boulevard des Capucins au coin de la rue-Neuve des Capucines, aujourd’hui rue des Capucines et le ministère de l’Intérieur rue de Grenelle, numéro 101.