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au moins jusqu’au rétablissement complet de l’ordre. M. de Salvandy [1] notamment exposa ces idées avec une rare sagacité.

Le Roi paraissait assez embarrassé lorsque, la porte s’ouvrant tout à coup, le colonel de Chabaud-Latour [2] pénétra brusquement dans le cabinet du souverain, s’écriant :

— Sire, je viens de la Chambre, où plus de deux cents députés sont réunis dans un bureau. Forts de l’assentiment de leurs collègues absents, ils me chargent de vous dire, que si vous voulez conserver le ministère, ils sont prêts à l’appuyer avec énergie.

— Mais ce n’est pas moi qui renvoie le ministère, répondit Louis-Philippe, avec une grande animation, et même une certaine exaltation, mon ministère n’a pas perdu ma confiance. Je désire qu’il reste.

— Permettez, Sire, dit alors M. Guizot, ce n’est pas le cabinet qui se retire, c’est Votre Majesté qui m’a manifesté le désir d’appeler M. Molé. Je tiens à rappeler, en présence de mes collègues, ce qui s’est passé dans la conférence que j’ai eu l’honneur d’avoir ce matin avec Votre Majesté. Vous m’avez fait observer que la situation était grave et que vous ne vous sentiez pas convaincu qu’en raison de l’irritation des esprits, notre cabinet fût propre à rétablir l’ordre. Je vous ai répondu que le dévouement et l’énergie du cabinet du 29 octobre, depuis sept ans à la tête des affaires, n’avaient jamais faibli et que ce dévouement et cette énergie restaient les mêmes. Vous avez alors ajouté que le cabinet se trouvait vigoureusement attaqué, que la formation d’un nouveau ministère pouvant peut-être donner satisfaction à l’opinion publique, vous éprouviez le désir d’envoyer chercher M. Molé.

« Je vous ai encore objecté que ce n’était point durant une émeute qu’un changement de ministère pouvait avoir lieu sans inconvénients, qu’en de telles circonstances, le pouvoir devait conserver toute sa force et que, en le faisant passer en d’autres mains, on l’affaiblirait inévitablement ; mais qu’une opinion, deux fois exprimée par Votre Majesté, annonçant de sa part une résolution arrêtée, je n’avais dès lors qu’à lui demander l’autorisation d’annoncer à la Chambre que le Roi faisait appeler

  1. Le comte de Salvandy, député de l’Eure, ministre de l’Instruction publique.
  2. Le colonel baron de Chabaud-Latour, député du Gard, aide de camp du Prince royal.