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pensée, qu’il abdiquait peut-être devant le danger, m’indignait. Me penchant vers M. Dumon, derrière lequel j’étais assis, je lui demandai si ses collègues et lui avaient donné leur démission ou s’ils étaient renvoyés.

— Nous sommes renvoyés, me répondit-il.

— Je vous en félicite, lui dis-je. Je ne me serais jamais pardonné de vous avoir soutenus, souvent même contre mes opinions, si vous aviez, en un pareil moment, donné votre démission.

« Descendant alors dans l’hémicycle où les députés se pressaient en foule devant le banc des ministres, j’entendis M. Guizot déclarer également que lui et ses collègues étaient renvoyés et, prenant tour à tour les mains de ceux qui l’approchaient, leur dire, en indiquant les bancs supérieurs : « Nous ferons ensemble, sur ces bancs, de la bonne politique. »

« J’appris du ministre des Travaux publics, M. Jaÿr [1], et aussi de M. Dumon, que, dans la matinée, M. Dupin [2], M. de Montalivet [3] et d’autres s’étaient rendus chez le Roi qu’ils avaient impressionné par leurs récits. En arrivant au château, avant midi, M. Duchâtel avait trouvé le souverain fort effrayé. Louis-Philippe lui avait parlé de l’impopularité de M. Guizot et du danger qui pouvait résulter de cette impopularité. M. Duchâtel s’était alors empressé d’aller chercher M. Guizot et de l’amener aux Tuileries où le Roi lui avait parlé en des termes à peu près semblables. Sans offrir sa démission, M. Guizot avait alors déclaré que si son maintien au ministère paraissait un obstacle au rétablissement de l’ordre, il était prêt à se retirer. Le Roi, l’ayant pris au mot, avait immédiatement envoyé chercher M. Molé. »

Grande fut, au dire de M. Hébert, la stupéfaction des autres ministres, qui apprenaient ainsi de M. Guizot leur retraite forcée et ne savaient que répondre aux questions qui leur étaient adressées.

« Lorsque le calme fut rétabli dans la Chambre, poursuit mon père en son récit, M. Sauzet demanda la fixation de l’ordre du jour du lendemain. Cet ordre du jour, arrêté dans la séance de la veille, portait que le bureau examinerait à midi la proposition

  1. M. Jaÿr, pair de France.
  2. M. Dupin, député de la Nièvre.
  3. Le comte de Montalivet, pair de France.