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considéré, jusqu’au rétablissement de l’ordre, que comme un gouvernement de défense sociale ?


JOURNÉE DU MARDI 22 FÉVRIER

« Le matin du mardi 22 février, note mon père, qui demeurait au numéro 18 de la rue Royale, je m’attendais à voir toutes les rues voisines occupées par des troupes, d’autant mieux que la veille, à la buvette de la Chambre, le général de Garraube [1] m’avait tenu le même langage que M. Passy, ajoutant que chaque homme de troupe serait muni de vivres pour trois jours, et que lui-même était chargé du commandement des forces qui surveilleraient le faubourg Saint-Denis. Je ne vis rien et tout me parut calme.

« Cependant, vers dix heures, écrit-il, quelques groupements se formèrent sur la place de la Madeleine. A onze heures, ces groupements devinrent beaucoup plus nombreux. A onze heures et quart, il y avait là une masse considérable, composée en grande majorité d’hommes en blouse et de gens appartenant à la classe ouvrière. A onze heures et demie, cette masse s’ébranla en chantant la Marseillaise, et se dirigea vers la place de la Concorde.

« Je profitai de ce moment pour sortir en voiture, afin de me rendre d’abord rue Greffulhe, puis à la commission du budget. En débouchant sur la place de la Concorde, je rencontrai le cortège des manifestants qui s’y était attardé. Aussitôt, à droite et à gauche, des cris furieux : « A bas l’aristocrate ! » furent dirigés contre moi. On arrêta les chevaux, on se pressa autour de la voiture, on en ouvrit les portières, on me demanda qui j’étais, comment je me nommais, si j’étais député. Je répondis que j’étais un particulier allant à ses affaires, mais que je descendrais de voiture si on l’exigeait. Les uns, me tirant par mon paletot, voulaient me faire sortir de la voiture, et d’autres, au contraire, voulaient que j’y restasse. Aidé du bon vouloir de ces derniers, le cocher, profitant de la confusion, fouetta ses chevaux et je fus ainsi délivré. Après avoir dépassé l’obélisque, voyant que le pont de la Concorde était également envahi par une foule compacte, je crus devoir descendre de

  1. Le général Valleton de Garraube, député de la Dordogne.