Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distribuée à des ouvriers afin de les provoquer à l’émeute. Parmi les convives se trouvait M. Rivet [1], qui espérait que les événements amèneraient prochainement au pouvoir M. Dufaure [2] et M. Billault [3], dont il était l’ami.

― Ils’ y entreront avec M. de Montalivet et le maréchal Bugeaud, observa mon père.

— M. Dufaure, répondit M. Rivet, n’entrera jamais avec eux. Il veut le ministère de l’Intérieur pour lui ou pour un de ses amis.

— Ils devront bien se garder de dissoudre, quant à présent, la Chambre, ajouta mon père, car, dans la situation des esprits, la nouvelle Chambre serait révolutionnaire.

— Vous vous trompez, les candidats au delà de votre couleur et de la mienne sont peu nombreux. Les députés nouveaux seront des hommes de notre opinion ; les candidatures plus avancées ne sont pas préparées.

— Mais la réforme, répliqua mon père, qu’en faites-vous ? Vous ne pouvez pas dissoudre la Chambre, sans avoir, au préalable, obtenu les deux lois de réformes, sans quoi il y aurait leurre de votre part. En revanche, il vous serait impossible de saisir immédiatement de cette question une nouvelle Chambre. On aurait donc renversé un ministère, parce qu’il ne voulait pas faire assez promptement la réforme, et on le remplacerait par un autre qui la ferait beaucoup plus tard.

— Sans doute ; mais le plus important serait de dissoudre la Chambre actuelle trop usée. Avec une nouvelle Chambre, la réforme serait assurée.

Puis M. Rivet s’étendit sur divers projets financiers, devant modifier les contributions foncière, personnelle et des portes et fenêtres, projets destinés, dans sa pensée, à populariser ses amis.

On est en droit de s’étonner, qu’en ces conjonctures où l’existence même de la monarchie de Juillet était en jeu, il se soit trouvé parmi ceux qui n’attendaient point, des événements en cours, un bouleversement des institutions établies, des gens capables de s’attarder dans des espoirs aussi mesquins. Comment ne sentaient-ils pas, qu’au point où en arrivaient les choses, le ministère présidé par M. Guizot ne devait plus être

  1. M. Rivet, conseiller d’Etat et ancien député de la Corrèze.
  2. M. Dufaure, député de la Charente-Inférieure.
  3. M. Billault, député de la Loire-Inférieure.