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preuve, la loyauté [1] avec laquelle M. Vitet et M. de Morny avaient fait connaître ses intentions pacifiques, faisaient apparaître la publication de ce manifeste comme un acte d’autant plus agressif et perfide.

Le Gouvernement, restant pourtant fidèle à sa promesse de tolérer le banquet, se borna à interdire le cortège.

Cette décision désorienta l’opposition et l’après-midi, à la Chambre des députés, M. Odilon Barrot, interpellant le ministre de l’Intérieur, M. Duchâtel, chercha, bien mollement d’ailleurs, à la lui faire rapporter. Tout en excusant la publication du manifeste, dont le fond n’avait rien, prétendait-il, de répréhensible, M. Barrot déclarait qu’il n’en approuvait pas la forme, mais qu’il n’y avait point là, lui semblait-il, motif suffisant pour que le Gouvernement fut en droit de revenir sur une partie de ses promesses. M. Duchâtel eut vite fait de démontrer qu’il ne pouvait tolérer qu’un comité, s’élevant en face du gouvernement constitutionnel, convoquât la garde nationale et provoquât des attroupements.

En sortant de la séance de la Chambre des députés, M. Odilon Barrot réunit chez lui ses amis, et, après avoir entendu les représentants des divers partis de l’opposition qui devaient prendre part au banquet, il fut décidé que, pour éviter des troubles et des collisions, ce banquet n’aurait point lieu, mais que, en revanche, une proposition de mise en accusation des ministres serait déposée le lendemain sur le bureau de la Chambre. Quatre-vingt-dix députés environ signèrent cette proposition.


Ce même jour, mon grand-père et mon père dînaient chez M. Lepeletier d’Aunay [2]. Dans la soirée, M. Antoine Passy [3] vint, radieux et plein de confiance, annonçant que, le lendemain matin, il y aurait 80 000 hommes soit de garde nationale, soit de troupes de ligne dans les rues de Paris, pour y maintenir l’ordre qu’il jugeait menacé. En effet, une somme de vingt mille francs avait été envoyée de Rouen, disait-il, pour être

  1. Après avoir raconté à mon père l’entrevue des trois députés de l’opposition avec les deux délégués du Gouvernement, M. Odilon Barrot ajouta que M Vitet et M. de Morny « avaient agi avec une grande loyauté. »
  2. . M. Lepeletier d’Aunay, député de Seine-et-Oise.
  3. M. Antoine Passy, députe de l’Eure, et sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur.