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Récemment, nous avons assisté à un spectacle écœurant. À l’extrémité de l’Europe, dans des pays plus asiatiques qu’européens, une populace abrutie, impudemment militarisée, menée par des bandits ivres, a semé la terreur et le pillage. Le pouvoir bolchéviste a commencé ainsi. Mais, comme cette anarchie sauvage ne pouvait durer, au bout de quelques mois, peu à peu, la nécessité d’une justice quelconque a plus ou moins reparu. De sorte que maintenant, même à Moscou, le meurtre et le vol sont à peu près punis. Tant il est vrai qu’il n’y a pas de civilisation possible, même à Moscou, sans l’institution d’une justice.

Il faudrait donc, pour juger les divers caractères d’une civilisation et les opposer à la barbarie, voir jusqu’à quel point, dans une nation, l’individu comprend son devoir social, son devoir politique, son devoir familial, écrire en un mot un traité de morale, ce dont j’aurai garde. Il me suffira de dire que les lois inscrites dans nos codes sont irréprochables. Mais qu’importent les lois, si les mœurs sont corrompues ?

Quid leges sine moribus ?

C’est par les mœurs surtout que l’homme civilisé s’éloigne de l’homme sauvage.

Les conquêtes sur la matière, si brillantes qu’on les suppose, ne peuvent suffire. Supposons que, par suite d’un progrès notable dans la vitesse des chemins de fer, on arrive à faire commercialement 150 kilomètres à l’heure, de manière à aller en vingt heures de Paris à Constantinople ; supposons qu’on ait par de sages mesures hygiéniques fait disparaître la scandaleuse, la hideuse mortalité des enfants de moins d’un an ; supposons que surgisse un splendide épanouissement littéraire, artistique et scientifique et que dans chaque pays naisse tous les dix ans un Victor Hugo, un Rostand, un Pasteur, un Claude Bernard, un Wagner. Supposons même que tous les petits Français et toutes les petites Françaises de douze ans sachent écrire en excellente orthographe une composition ingénieuse sur le Chêne et le Roseau, ou résoudre un délicat problème sur les lieux géométriques. Voilà, n’est-il pas vrai, de quoi être fier ! Mais, si la criminalité a augmenté, si la vénalité des journaux s’est accrue, si les mœurs politiques se sont dégradées, si la bonne foi et le désintéressement sont traités de vieilles guitares,