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que, si nous n’étions pas obnubilés par le présent, nous oserions affirmer qu’il y aura dans l’avenir des surprises pareilles, aussi grandioses, plus grandioses peut-être, que celles du passé.

Mais on est timoré, on n’ose pas aller au delà des banalités, des habitudes quotidiennes ; et on est taxé de chimériste pour avoir l’audace, très enfantine et très peu aventureuse, de croire qu’il y a devant nous de magnifiques inventions, imprévues et imprévoyables, et que la civilisation d’aujourd’hui, tant au point de vue intellectuel qu’au point de vue matériel, est bien inférieure à la civilisation de demain.


V


Cependant la conquête de la matière et la connaissance des choses ne suffisent pas à nous séparer des barbares. On conçoit très bien qu’une société puisse exister, très instruite, riche en télégraphes, en avions, en chemins de fer, en instituts de bactériologie, de pyrotechnie et de mathématiques, et qui soit tout de même foncièrement immorale, cruelle, corrompue, indigne de mériter le nom de civilisée.

Assurément, nous ne reprendrons pas l’erreur énorme de J.-J. Rousseau. Nous ne prétendrons pas défendre cette idée absurde que l’homme primitif, le sauvage, qui ne connaît ni le théâtre, ni l’art, ni l’industrie, est d’une moralité supérieure à celle de l’homme cultivé. Et cependant il est admissible, — on en pourrait donner maints exemples, — qu’une société, intellectuellement et matériellement très brillante, soit moralement très inférieure.

Dans l’histoire de l’humanité, le grand progrès moral semble avoir été l’institution d’une justice. Nul n’est juge en sa propre cause. Par conséquent, il faut qu’il y ait des juges ; il faut que quelque chose soit supérieur à la fantaisie et à la passion de l’individu. Il faut la Loi, une loi, des lois. Donner force à la Loi et autorité au tribunal qui rendra la justice, voilà le premier pas qu’ait fait l’humanité depuis le crime de Caïn. La vraie civilisation, c’est que la vie de chaque être humain est protégée, et que toute atteinte à ses droits va être aussitôt réprimée.

La vie, la propriété, la liberté de chaque citoyen défendues par la loi, garanties par les tribunaux, telle est la base de toute civilisation.