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Continuons la lecture en cherchant avec l’historien le sens des faits qu’il collige ; brisons l’os, comme dit Rabelais, pour avoir la moelle : « L’aristocratie de la richesse eut un mérite ; elle imprima à la société et à l’intelligence une impulsion nouvelle. Issue du travail sous toutes ses formes, elle l’honora et le stimula. Ce nouveau régime donnait le plus de valeur politique à l’homme le plus laborieux, le plus actif ou le plus habile ; il était donc favorable au développement de l’industrie et du commerce ; il l’était aussi au progrès intellectuel ; car l’acquisition de cette richesse qui se gagnait ou se perdait, d’ordinaire, par le mérite de chacun, faisait de l’instruction le premier besoin et de l’intelligence le plus puissant ressort des affaires humaines. »

L’humanité n’est pas vouée à la stabilité, mais au changement. Le régime fondé sur l’acquisition de la richesse développe la cupidité des hommes, c’est-à-dire les luttes économiques, et finalement la guerre. L’antiquité a vu, comme notre époque, les duels à mort engagés entre les « comptoirs. » Le résultat ne s’est pas fait attendre : « Un des effets de la guerre fut que les cités se trouvèrent presque toujours réduites à donner des armes aux classes inférieures... Il est donc hors de doute que la guerre a peu à peu comblé la distance que l’aristocratie de richesse avait mise entre elle et les classes inférieures. Et ce fut l’avènement de la démocratie. Cela aussi était dans la nature des choses : Thucydide dit « qu’il fallait le régime démocratique pour que les pauvres eussent un refuge, et les riches un frein. »

Des dangers qui menacent le régime démocratique et qui, finalement, amenèrent partout sa ruine, Fustel de Coulanges s’est occupé longuement. Il signale que, parmi les autres, la démocratie athénienne fut longtemps exemplaire ; elle se rendait compte que le régime démocratique ne peut se soutenir que par le respect des lois. Athènes fut presque la seule cité grecque qui n’ait pas vu, dans ses murs, la guerre atroce entre les riches et les pauvres. « Ce peuple intelligent et sage, écrit-il, avait compris, dès le jour où la série des révolutions avait commencé, que l’on marchait vers un terme où il n’y aurait que le travail qui pût sauver la société. Elle l’avait donc encouragé et rendu honorable. Solon avait prescrit que tout homme qui n’aurait pas un travail fût privé des droits politiques. »