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tain de ma jeunesse, Victor Duruy, le grand historien, me disait : « Si j’avais à faire une histoire générale, je la diviserais en deux parts : le monde avant les chemins de fer, et le monde après les chemins de fer. »

Pour l’intensification des échanges, les chemins de fer ont joué un rôle presque aussi important que l’imprimerie.

Le monde après Gutenberg est devenu tout à fait différent du monde avant Gutenberg.

De fait, pour se rendre compte, par un chiffre symbolique, de l’avancement d’une civilisation, il faudrait établir un rapport entre le nombre de kilomètres de voies ferrées construites et la population. Mais, considérée trop strictement, cette proportionnalité serait assez décevante ; car, si la population est très dense, comme en Belgique, on aura par tête d’habitant un chiffre kilométrique relativement faible, bien plus faible que dans le Far-West du Nord Amérique, lequel a même population pour une étendue cent fois plus grande.

Après tout, peu importent les chiffres précis. Il suffit de reconnaître que les chemins de fer, les télégraphes électriques, les bateaux à vapeur, les avions, les télégraphies sans fil, tous ces agents actifs d’interchange entre les hommes, et par conséquent entre les idées, mesurent assez bien, au point de vue matériel, le degré de nos civilisations.

Quand les Chinois se sont entourés d’une grande muraille pour se protéger contre les « diables étrangers, » par ce fait même, semble-t-il, leur civilisation fut enrayée. Depuis cette lointaine époque, ils sont restés douloureusement stationnaires, car un peuple ne peut faire de progrès que s’il entre en contact avec les peuples voisins. L’activité des interchanges entre citoyens d’un même pays aussi bien qu’entre citoyens de pays différents donne la mesure de l’activité intellectuelle.

Je ne sais quel humoriste a dit que la culture d’un peuple est proportionnelle au nombre moyen de timbres-poste employés par chaque habitant. Voilà une statistique que j’engagerais volontiers quelque amateur de chiffres à entreprendre ; il arriverait à des résultats instructifs.


— Faut-il considérer le développement du machinisme comme extraordinairement désirable ? Certains économistes, plus philosophes peut-être qu’économistes, ont quelque peur de ces