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nables, des naïvetés, des fadaises. Certes ! Mais, dans l’ensemble, c’est excellent comme morale, comme esthétique même, et surtout comme documentation élémentaire. Si les jeunes enfants de toutes nos communes de France avaient lu et relu ces livres, s’ils en avaient compris et retenu le quart seulement, ils auraient atteint un niveau très élevé de civilisation.

Dans certains petits pays, en Hollande, au Danemark, en Suède, en Suisse, l’instruction primaire est très développée, et le résultat est que les gens du peuple sont tous assez instruits.

Je me souviens qu’il y a maintes années je me trouvais, je ne sais plus pour quelle cause, à Lausanne, où je connaissais l’instituteur d’une école primaire de petites filles de 10 à 14 ans. Comme l’instruction en Suisse est sévèrement obligatoire, toutes les petites filles d’un des quartiers de Lausanne, celles du peuple comme celles de la bourgeoisie, étaient forcées d’aller à cette école. Mon ami me montra les copies d’une composition française qu’il avait donné à faire à ses élèves sur ce sujet : « les plaisirs de l’hiver à Lausanne. » Eh bien ! j’ai été absolument stupéfait de voir ces quatre-vingt-huit copies, toutes d’une belle écriture, toutes d’une orthographe presque irréprochable, avec des développements ingénieux, des idées et même parfois du style. C’était ahurissant.

Après l’école primaire, plus tard, quand ces petites filles seront mères de famille, forcées de faire le ménage, mariées à des laboureurs, des forgerons, des mineurs, des pêcheurs, des tisserands, des vignerons, elles n’auront certainement gardé qu’une très vague souvenance des leçons que leur enfance avait reçues. Mais cette vague souvenance, c’est déjà beaucoup. Le mot célèbre d’une femme illustre peut s’appliquer : « nous ne demandons pas qu’elles sachent ; il nous suffit qu’elles aient oublié. »


En résumé, au point de vue intellectuel, la civilisation est composée de deux éléments : d’une part, la diffusion des connaissances dans toutes les masses populaires ; d’autre part, l’extension des connaissances humaines par les progrès de la science.

Or ces deux éléments essentiels ne sont pas antagonistes. Il n’est pas nécessaire de les opposer l’un à l’autre ; car ils n’impliquent aucune contradiction. Loin de là : ils vont de pair.

Pourtant, si j’avais un sacrilège à commettre en sacrifiant l’un à l’autre, j’aimerais mieux pécher contre la démocratie, et