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compris à peu près par tous les petits enfants des pays civilisés à partir de l’âge de douze ou quinze ans.

Je ne voudrais pas affirmer que souvent d’énormes ignorances et des erreurs plus énormes encore ne se cachent pas dans l’esprit de la petite Bretonne ou du petit Sicilien qui prononcent les mots de baromètre, de thermomètre, et de microbe. Toutefois, ces petits enfants, quand, après l’école, ils rentrent dans leurs chaumières, savent quelque chose de plus qu’il n’en était su par des enfants de leur âge aux temps d’Annibal ou de Charlemagne. Les Esquimaux, les Hottentots, les Papous, n’ont, même de loin, rien qui ressemble à cette science rudimentaire de nos petits paysans. Aussi avons-nous le droit de dire que ces Esquimaux, Hottentots, Papous, sont moins civilisés que nous.


Cependant pas d’illusions. Il ne faut pas supposer que l’instruction primaire, aussi développée qu’on se plaira à l’imaginer, suffira à faire avancer les sciences. Le progrès scientifique dépend de quelques individus et non des foules.

Descartes, Lavoisier, Pasteur ont pu conquérir des mondes nouveaux sans qu’il fût nécessaire à leurs compatriotes de savoir l’arithmétique ou l’orthographe.

Alors quel parti prendre ? Pense-t-on à l’élite ou à la masse quand on parle sans épithète de civilisation ? Le mot doit-il s’étendre à tout un peuple ou à quelques élus ?

Problème ardu, presque insoluble. Néanmoins, il me semble que le développement de l’instruction générale est une des conditions primordiales de la civilisation opposée à la barbarie.

Un peuple dont tous les citoyens, toutes les citoyennes, tous les enfants, savent lire et écrire, est plus civilisé que s’il y a 50 pour 100 d’analfabeti [1]. S’il y a 90 pour 100 d’analfabeti, la civilisation est plus médiocre encore.

Savoir lire, cela signifie qu’on peut s’initier à la chose publique, à quelques œuvres d’art, aux découvertes scientifiques essentielles. C’est n’être plus un sauvage.

J’ai souvent admiré les nombreux livres qui font partie de l’enseignement primaire. Assurément il en est de très faibles, et on n’aurait pas grand peine à trouver çà et là des inepties, des tendances, soit militaristes, soit anarchistes, assez peu raison-

  1. Mot italien très commode pour caractériser ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Le mot français illettré n’a pas tout à fait le même sens.