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vérités sur les choses et les êtres, approfondir quelques-uns des mystères qui nous enveloppent. Il faut encore que l’ensemble de la nation en soit averti. Si les découvertes scientifiques ne sont pas entrées dans l’âme populaire, si elles restent confinées dans la tour d’ivoire, bibliothèque ou laboratoire, de quelque personnage doctissime et isolé, la civilisation générale n’en sera guère atteinte.

Or l’isolement était possible jadis, quand le savant gardait jalousement le secret de sa découverte. Jadis, c’est-à-dire au xviie et même au XVIIIe siècle, il n’y avait ni journaux, ni Sociétés savantes, ni Congrès. Mais il n’en va pas de même aujourd’hui. Quelques semaines, quelques jours, voire quelques heures après qu’une découverte a été présentée à une Société scientifique, ou publiée dans un journal technique, la presse quotidienne aux mille voix s’en empare aussitôt. Elle l’expose assez mal, bien entendu : elle la comprend vaguement : elle n’en donne qu’une idée imparfaite et sommaire. Tout de même, le fait fondamental est relaté, et, s’il est nouveau, s’il est important, s’il renverse les opinions reçues, alors des polémiques et des discussions s’établissent, qui initient superficiellement, mais réellement, le public à la nouvelle découverte. Par exemple, les idées imprévues et audacieuses qu’Einstein a jetées dans la science ont rapidement dépassé le domaine des mathématiques supérieures ou des métaphysiques transcendantes, pour entrer dans l’opinion publique. Que nos concitoyens et nos concitoyennes aient compris les lois de la relativité, j’en doute véhémentement. Cependant il est évident que la masse du public a pris une vague connaissance de ces hypothèses, qu’elle s’y est intéressée avec une abnégation d’autant plus méritoire qu’elle les comprenait moins.

C’est déjà un progrès de la civilisation que de croire à la science.

Ainsi la civilisation est liée à la science ; non pas à la science de quelques privilégiés, mais à la science diffusée, envahissant, par le journal et par l’école, les mentalités de tout un peuple.

Voyez les termes vraiment scientifiques qu’à l’école primaire emploie l’instituteur : ils sont devenus tellement populaires qu’on ne peut plus guère leur appliquer le terme ambitieux de scientifiques. Baromètre, thermomètre, microbes, antiseptiques, planète, oxygène, pesanteur : ces mots, aujourd’hui usuels, sont