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une convention et par un artifice, ce que la science historique ne peut admettre comme vrai. »


Un livre entier de cette véritable genèse méditerranéenne n’est-il pas consacré, d’ailleurs, aux Révolutions ? Ici, la comparaison avec Montesquieu s’impose. Fustel de Coulanges, certainement, ne l’a pas cherchée ; mais, comment l’historien de l’antiquité omettrait-il ce qui concerne la lutte des aristocraties et des démocraties, des patriciens et de la plèbe, des riches et des pauvres ? Or, à comparer, c’est incontestablement la science de Fustel de Coulanges qui prend le dessus : en plus, elle remplit le premier devoir de l’histoire : elle apporte un avertissement, un enseignement ; elle transmet aux générations nouvelles la leçon de l’expérience ; elle indique les procédures et les limites des possibilités humaines.

La lutte s’était engagée contre les vieilles institutions familiales et rurales ; mais, d’après une des lois de l’esprit humain, dégagée encore par l’historien, « la nature humaine a un besoin instinctif d’obéir : quand un pouvoir disparaît, elle cherche d’abord à quel autre pouvoir elle se soumettra. » Cependant, « les institutions ne sont jamais l’œuvre de la volonté d’un homme ; » elles naissent de besoins nouveaux, parfois du jeu des passions, le plus souvent de nécessités économiques. C’est ce qui arriva quand le sceau des anciennes civilisations fut brisé : « La religion héréditaire étant écartée, il n’y avait plus d’autre élément de distinction sociale que la richesse. On demanda donc à la richesse de fixer les rangs. Le pouvoir de la richesse acquise et surtout de la richesse urbaine, c’est le résultat à peu près fatal de toute révolution tentée contre la propriété du sol. » « A Cumes, par exemple, les droits politiques ne furent donnés, d’abord, qu’à ceux qui, possédant des chevaux, formaient une sorte d’ordre équestre. » C’est comme si une classe sociale se formait aujourd’hui par le fait de la possession d’un automobile. Et c’est, en fait, ce qui s’accomplit en Russie où, d’après les témoins, le pouvoir appartient à ceux qui se sont emparés des moyens de transport et de communication, voies ferrées, automobiles, wagons, téléphones, etc. Le moyen de transport ou de communication rapide est une richesse acquise qui crée une nouvelle richesse et qui, à cause de cela, a joui, dans tous les temps, d’une autorité, pour ainsi dire, incommensurable.