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QU’EST-CE QUE LA CIVILISATION ?


Le mot civilisation est moderne.

On dit que Racine l’a une fois employé ; mais je n’ai pas pu le retrouver. En tout cas, il n’apparaît guère dans la langue française qu’à la fin du XVIIIe siècle. On ne l’a reçu dans le dictionnaire de l’Académie qu’à partir de 1833. Et pourtant aujourd’hui il revient constamment dans la conversation et dans les livres.

D’ailleurs, il comporte deux sens assez différents, de sorte qu’on ne sait pas au juste ce qu’on veut dire quand on le prononce ou qu’on l’écrit, puisqu’il y a deux manières de l’entendre.

D’abord, il y a le sens restreint, conforme à la définition que donne Littré : l’ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de l’action réciproque des arts industriels, de la religion, des beaux-arts et de la science.

La définition est très précise. On saisit nettement ce que veulent dire les mots : civilisation chinoise, civilisation française, civilisation du XVIe siècle. Nul besoin, par une périphrase, d’amplifier, et peut-être d’embrouiller, cette idée claire.

Mais souvent le mot civilisation signifie autre chose. Car les écrivains contemporains se servent fréquemment de cette expression pour opposer civilisation à barbarie. L’état de civilisation, dit-on alors, c’est le contraire de l’état sauvage : la civilisation va croissant à mesure que la sauvagerie tend à disparaître.

Soit. Pourtant, dès qu’on veut approfondir la question et savoir exactement en quoi la civilisation diffère de la barbarie, on est surpris de voir à quel point il est difficile de dissocier les