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II. — QUELQUES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DES ŒUVRES DE FUSTEL DE COULANGES

Le choix des deux sujets auxquels il consacra sa vie montre la grandeur de son dessein : son premier livre, la Cité antique, a pour objet les origines de la civilisation méditerranéenne. Les origines de l’Europe font l’objet de son autre livre : les Institutions de l’ancienne France. Le cadre de Montesquieu n’est pas plus large, mais la main qui le traça est moins ferme : il y a plus de fantaisie et de caprice chez le président de Bordeaux ; dans l’Esprit des Lois, il reste beaucoup de l’esprit des Lettres Persanes. Fustel de Coulanges, dès le début, sait où il va. Il prend corps à corps la fameuse thèse germanique qui avait été un peu celle de Montesquieu : « La liberté est née dans les bois, » et, par un labeur incomparable, il remet la société des hommes sur sa base véritable, le sol ; il la range, dès ses origines, autour de son principe animé, la flamme du foyer, la famille. Ces origines sont méditerranéennes, telle est la première et magnifique démonstration de Fustel de Coulanges. Il a senti, dès l’abord, qu’il fallait chercher là. Il a cherché, il a trouvé, il a prouvé. Grand inventeur, grand historien, grand politique.

Voici le chapitre de la Cité antique consacré au « droit de propriété : » il s’agit des origines d’une institution sur laquelle s’est fondé le droit européen ; matière juridique et économique, s’il en fut, obscure, pénible, perdue dans la nuit des temps. Cependant, Fustel de Coulanges s’émeut à la pensée que ce problème demeure le premier parmi les problèmes sociaux. Il s’y attache, il le scrute ; il le mesure et le pèse avec des instruments d’une précision et d’une sûreté telles que, peu à peu, nous voyons apparaître, dans son germe, le phénomène naturel qui unit le sol à l’homme ; et, sans que l’observateur et le descripteur insiste, sans qu’il tende à prouver quoi que ce soit, la question qui passionne le monde, celle du droit de propriété individuelle et rurale, est exposée, non comme une thèse de droit, mais comme une manifestation de la vie.

S’il est démontré que, dès ses plus hautes origines, la civilisation s’est appuyée sur le droit de propriété individuelle et sur le domaine transmissible par héritage, on est en droit de conclure que son sens n’a pas été faussé et qu’elle s’est développée