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un historien qui travaille de seconde main, d’après les documents et les textes. La forme actuelle de l’histoire n’est donc pas moins utile que l’ancienne à l’humanité.


Fustel de Coulanges a défini lui-même l’histoire « la science des sociétés humaines, » on pourrait dire la science de l’espèce humaine, car l’homme n’est sociable qu’en tant que l’acquis des générations se transmet des pères aux enfants par l’écriture. L’histoire écrite est le fil qui, attachant les unes aux autres les générations, crée la société permanente et consciente des hommes ; et c’est l’histoire qui fait, de cette vie en société, le caractère éminent de l’espèce humaine. Il en résulte que le premier devoir de l’histoire est de recueillir et de transmettre scrupuleusement aux âges futurs des notions vraies, « les yeux fixés sur la science, » dit fortement Fustel de Coulanges.

C’est parce qu’elle n’a pas eu constamment « les yeux fixés sur la science, » que l’histoire a si souvent trompé la succession des hommes et qu’elle a causé des erreurs politiques graves et produit de grandes misères. Quand, par exemple, les feudistes ont accrédité tout un système juridique et politique reposant sur le droit de conquête, et puisant ses origines dans les invasions germaniques, ils ont préparé de loin des révolutions sanglantes. Quand les conquérants, séduits par le bruit de la gloire, ont cherché dans la guerre la plus haute mesure de la grandeur humaine, ils ont plongé le monde dans d’affreux malheurs. On multiplierait ces exemples : l’humanité a souvent été trompée par l’histoire. L’histoire mal faite est le plus dangereux des guides.

Rien, par conséquent, n’importe plus au monde que de bonnes méthodes historiques ; et voilà le grand tourment de ce profond penseur qu’était Fustel de Coulanges. Il se penchait sur les sociétés humaines et diagnostiquait leurs maux à la température de leur histoire. Il a cherché les voies de l’avenir dans une enquête infatigable sur leurs actes passés ; il fut, par excellence, le prophète des temps révolus.

Je voudrais choisir, dans l’œuvre de Fustel de Coulanges, certaines preuves éclatantes de ce qui était en lui un don, mais qu’un labeur prodigieux développa jusqu’au génie.