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dépendra, sans doute, du jugement qui sera porté sur l’Impérialisme allemand.

Et, en même temps, ne devons-nous pas être frappés de ce fait qu’un historien, et seul un historien, fut averti de la gravité du problème ? Quand il écrivait, cinquante ans avant les événements, ses deux grands ouvrages, la Cité antique et l’Histoire des Institutions de l’ancienne France, il posait précisément les termes du débat qui se poursuit devant nous. Le choix de ces deux sujets suffisait pour porter les regards et attirer la lumière sur le sophisme qui voilait des ambitions redoutables. Personne n’ignore que Fustel de Coulanges avait conçu le dessein d’arracher la science à l’envoûtement germanique ; porté à cela, sans doute, par un patriotisme inquiet, mais aussi et surtout, par des raisons scientifiques, par une sorte de méfiance instinctive à l’égard de ce qui ne sonnait pas le vrai. « Regardez les historiens allemands, écrivait-il, et vous serez frappés de voir à quel point leurs théories historiques sont en parfait accord avec leur patriotisme. Vous serez alors amenés à vous demander si leurs systèmes ont été engendrés par la lecture des textes ou s’ils ne l’ont pas été plutôt par ce sentiment inné qui était antérieur chez eux à la lecture des textes. »

Ainsi, l’historien éclairait d’avance les dessous politiques de la campagne sournoise engagée par la « science » allemande. Dans ces thèses, en apparence inoffensives, il signalait non seulement l’ambition de l’Empereur, l’Impérialisme, mais l’ambition de la race, le Pangermanisme. La connaissance qu’il eut des intentions secrètes de cette « propagande » scientifique lui faisait découvrir les racines de l’arbre funeste qui faillit étendre son ombre sur l’univers.

Et Fustel de Coulanges ne se montrait-il pas prophète encore, quand, dans un article mémorable publié par la Revue, le 1er janvier 1871, la Politique d’envahissement : Louvois et Bismarck, il déclarait (toujours en historien et d’après les enseignements de l’histoire) que la politique bismarckienne ramenait l’Europe à deux siècles en arrière et quand il annonçait à l’Allemagne « les maux que ses victoires déchaîneraient sur elle à bref délai ? »

Une science si sûre qu’elle permet de prédire l’avenir, telle nous apparaît donc l’histoire maniée par de tels hommes. Or, Fustel de Coulanges est, par excellence, un historien moderne,