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une enquête aux pays du levant.

De Deïr-el-Kamar à Beyrouth, par le Sud, la distance n’est pas grande, une trentaine de kilomètres, je crois, mais je n’étais pas pressé d’arriver. La chaleur, traversée de grands souffles de brise, était splendide et supportable. Nous suivions une route en lacets, qui descend vers la mer, à travers des rochers où poussent seulement quelques pins et des oliviers espacés. C’est une nature toute provençale par la fierté et la pauvreté, dans des proportions plus grandioses. De toute ma journée, je rencontrai seulement quelques cavaliers, des ânes, des chameaux, et des enfants cueillant des feuilles de mûriers. Aux plus beaux passages, je mettais pied à terre et m’attardais dans mon plaisir. La jeunesse, la tranquillité, la fierté de cette nature enflammée sont choses divines, qui développeraient l’amabilité chez un rustre. Quel silence ! On s’explique que tout naturellement, au tomber du jour, l’homme arrivé sur ces sommets lève les mains au ciel, exhale sa prière et crée le culte des hauts lieux. Ces heures demeurent dans mon esprit, heureuses, légères et chantantes, un de ces moments d’allégresse où, sans une pensée distincte, nous respirons tous les dehors et mêlons l’azur, les parfums, la brise, les lumières et les ombres à notre vie intérieure. Je ne me rappelle aucune image, aucune idée, rien que mon plaisir, dans cette solitude brillante des montagnes, puis du rivage, et le soir j’étais à Beyrouth, bien désireux de retourner au plus tôt dans les plus antiques cantons religieux du Liban.


MAURICE BARRÈS.