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belles choses dans les minutes que je vole à l’obsession politique où vivent mes visiteurs.

Au soir de cette seconde journée, je m’en vais, tout seul, faire une petite promenade aux alentours de la ville. Je vois les Sœurs dans un clos. Rencontrer des filles de France dans un jardin du Liban, voilà de la poésie ! Leurs petites filles sont avec elles. Tout ce monde profite du jour de congé que j’ai donné, l’avant-veille, en visitant leur école.

— Mais, disent-elles en s’excusant, il nous faut partir. C’est l’heure où les messieurs vont venir à la promenade.

Dans une telle phrase, où l’on surprend le point de contact des convenances du harem et de la règle du couvent, mon esprit s’enivre de voir ce qui semble finir se prolonger dans ce qui innove.

Enfin, le troisième jour, à midi, je prends congé de mes hôtes excellents :

— Mon cher docteur, ajoutez deux plaisirs à tant de gracieusetés dont je vous remercie ; cherchez les traces de Gérard de Nerval : il vous aimait tant, et vous l’ignorez, vous qui savez les noms de nos plus insignifiants députés ! Et puis, donnez-nous l’histoire véridique de lady Esther Stanhope.

J’ai la parole du docteur. Dans quelques jours, son frère qui, pour l’instant, est occupé à des réparations au sérail de Beït-Eddin, s’en ira du côté de Jouni, à six heures de Deïr-el-Kamar, et recueillera tous les souvenirs, toutes les légendes qui peuvent traîner chez les gens du pays. Lui-même, le docteur, il va consulter les vieux livres arabes.

Et sur ces bonnes promesses (que la guerre, encore invisible, allait dans deux mois rendre vaines), je pars en voiture pour Beyrouth… À la sortie de la ville, que vois-je ? Tous les enfants de Deir-El-Kamar rangés des deux côtés de la route, les petites filles avec leurs religieuses, les garçons avec les Pères, qui, à ma vue, agitent des drapeaux et acclament la France… La charmante clientèle, les heureuses préparations d’amitié ! Aussi longtemps que je puis les voir, ces jeunes camarades, je salue de la main leur petite fourmilière enthousiaste. Je m’en vais, enchanté des heures que je viens de passer dans ce décor de rêve, où les filles de France ennoblissent la vie, près du tombeau de nos soldats. Parmi ce chaos de l’Orient et cette confusion des races, quelle céleste lumière met la robe de nos religieuses !