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France. Il parle aussi pour elle. Après neuf ans d’un silence qui a du coûter cher à son cœur ardent, à son cœur menacé de se rompre, s’il l’expose à des contradictions trop violentes, il monte à la tribune le 14 décembre 1911. C’est un événement. A peine M. de Mun est-il face à l’Assemblée que de vifs applaudissements éclatent de toutes parts. J’ai conservé le souvenir de cette ovation spontanée qui honorait la Chambre, fière de rendre hommage au talent et au patriotisme d’un grand orateur trop longtemps muet, et qui risquait une périlleuse épreuve pour remplir un devoir de conscience. Combien dans cette salle, et sans doute même les plus nombreux, qui, ne l’ayant jamais entendu, se faisaient une joie impatiente de l’entendre ! Combien d’autres, et jusque sur le banc de ses adversaires, qui, l’ayant souvent admiré, se demandaient avec une anxiété sympathique s’il serait égal à lui-même ! La tribune est toujours une gageure, et il peut lui arriver de trahir ceux qui, même involontairement, lui ont été infidèles. Mais il y avait dans l’attention unanime qui accueillait l’orateur un sentiment plus élevé que la curiosité d’un spectacle. C’était la convention franco-allemande relative au Maroc et au Congo qui était en jeu. M. de Mun avait déposé une motion préjudicielle pour demander l’ajournement du débat. Pouvait-il s’en tenir là ? Personne ne le pensait, et il était inévitable qu’il abordât le fond même de la question. Seule, sa pâleur disait son émotion. Mais sa voix assurée, sa prononciation nettement articulée, la fière aisance de son allure, affirmaient, dès les premiers mots, une maîtrise dont la Chambre tout entière subissait le charme et l’ascendant.

Aucune préoccupation de politique intérieure n’inspirait son discours, qui avait pourtant, à de certains passages, l’âpreté ou l’ironie d’un réquisitoire. Admirablement composé, d’une ordonnance soutenue et sobre, il se faisait une parure de sa simplicité même. Rien n’échappait, dans un problème obscur et complexe, poursuivi dans des négociations mal connues, aux questions précises et pressantes de M. de Mun. Et que d’heureuses formules ! « Le sentiment pour les nations est une sauvegarde de leur honneur. L’honneur des nations est le premier de leurs intérêts. » Et celle-ci, sur les offres du moyen Congo faites imprudemment à l’Allemagne à titre de compensation : « Compensation de quoi, et pourquoi ? Il n’y a pas ici un seul député, à quelque parti, à quelque région qu’il appartienne, qui n’ait