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les chasseurs à pied, alertes derrière les clairons joyeux ; et la cavalerie, dans un tourbillon, agitant ses étendards ; quand, à cette vue, les larmes ont mouillé les yeux, serré les gorges, étreint les cœurs, ah ! nous avons tous senti que l’armée ne peut pas périr ! »

L’armée ne pouvait pas périr, ni la France, dont elle était le bouclier. M. de Mun sentit, dès 1911, après le coup d’Agadir, que l’Allemagne était résolue à jouer la partie suprême, et à mesure que se déroulait, en France et au dehors, le drame européen, il suivit avec une admirable clairvoyance ce qu’il a appelé « le mouvement ascendant de l’énergie patriotique. » Trois dates et trois livres : 1912 : Pour la Patrie ; 1913 : L’Heure décisive ; 1914 : Les Derniers Articles. Ces livres sont un avertissement continu. Quand on relit les articles dont ils se composent, on est frappé des vues prophétiques qui y abondent et de la haute sagesse avec laquelle Albert de Mun jugeait les événements, leurs causes, leurs développements et leurs conséquences. Qu’il s’agisse du Maroc, des Balkans ou de l’Autriche, il montre partout la main de l’Allemagne, dont la diplomatie, tantôt cauteleuse et tantôt brutale, qui passe des caresses aux menaces avec l’aisance de l’hypocrisie la plus raffinée, poursuit invariablement le dessein d’une hégémonie au secours da laquelle elle appellera, l’heure venue, une force qu’elle développe. Ses gracieusetés protocolaires laissent M. de Mun indifférent. Pourtant, un jour, une image l’émeut : l’empereur Guillaume, serrant, aux manœuvres suisses, la main gauche du général Pau, mutilé de la main droite depuis Reischoffen ! « Tableau symbolique, dit-il ; nous sommes ainsi. Toutes les poignées de main que les Allemands nous donnent vont à notre main gauche ; la droite est coupée depuis quarante-deux ans ! » M. de Mun sent au fond de lui-même la douloureuse amertume de cette mutilation, mais il ne porte pas de défi et il ne provoque pas le destin. Ses articles ne sont pas « le téméraire appel d’un cœur de soldat au hasard d’une guerre préméditée : » ils sont « l’avertissement réfléchi d’un patriote attentif à la menace d’une guerre inévitable. » Quand sonnera le « glas formidable » de l’heure décisive, il veut que toutes les forces, toutes les énergies, tous les dévouements soient prêts et unis pour la Patrie.

Il n’est pas l’homme d’un parti. Il tient la plume pour la