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des « retours, » qui n’étaient pas des contradictions. Comme Michelet, il « situait ses justices. » Parce qu’il avait critiqué chez un ministre un acte qui lui paraissait blâmable, il n’hésitait jamais à approuver une mesure qu’il croyait utile : il se rapprochait alors de ceux qu’il avait combattus. Il avait l’amour passionné de la France et de l’armée. Qui aimait l’une et l’autre trouvait aisément, malgré toutes les divergences, sa main loyalement tendue. Il détestait la politique de Gambetta, mais il a rendu hommage à la Défense Nationale, qui avait laissé son auréole à la Nation en deuil, et à la fascination, à l’attrait, au charme encourageant, aux « grâces infinies » du grand tribun. Il avait critiqué la collaboration de M. Millerand au ministère de Waldeck-Rousseau, mais quand, sous le ministère de M. Poincaré, M. Millerand rendit « par sa belle et indépendante énergie confiance à l’armée, » M. de Mun ne lui marchanda ni sa confiance ni sa gratitude.

Ah ! l’armée, quel culte il avait pour elle ! Elle lui a inspiré deux de ses plus beaux mouvements oratoires. Il s’écriait, le 11 juin 1887, devant une Chambre transportée d’enthousiasme : « Il y a, messieurs, — nous avons bien le droit d’évoquer ces souvenirs, — il y a sur le plateau d’Amanvillers, une route qui monte à Saint-Privat-la-Montagne. Elle s’appelle encore le chemin funèbre de la Garde Royale, C’est là que l’élite de l’armée allemande est tombée dans un combat de géants ; et si je me laissais aller, combien d’autres souvenirs héroïques se presseraient devant mes yeux, depuis Wissembourg et Reischoffen jusqu’à cette charge de Sedan dont je ne puis parler, moi, qu’avec des larmes dans les yeux, parce que la moitié du régiment de chasseurs d’Afrique où j’ai fait mes premières armes y a trouvé la mort, cette charge de Sedan qui arrachait au roi de Prusse un cri pareil à celui de Guillaume d’Orange à Nerwinde : « Oh ! les braves gens ! » comme l’autre avait dit : « L’insolente nation ! » Voilà pour l’armée d’hier, celle à laquelle la défaite n’avait pas enlevé l’honneur. Et voici, en 1902, l’armée nouvelle, celle qui devait recueillir l’honneur de la victoire. « Malgré tant d’épreuves, l’armée est debout, fière et frémissante. L’année dernière, quand nous avons vu, dans les plaines de Bétheny, défiler dans leurs vêtements de campagne les divisions de fer, compactes, impénétrables ; et les canons, minces et gris, au long corps effilé, passer en bondissant ; et