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fit un de ses plus beaux discours. Pour un véritable orateur politique, l’auditoire est un collaborateur auquel il rend presque autant qu’il lui donne. Son discours n’a d’action que dans la mesure où il est un dialogue et un don réciproque des âmes. Mais, à cause de cela même, ce qui fait sa force fera sa caducité. Au discours publié il manque un personnage : le public. Il lui manque aussi le jeu de l’orateur. Victor Hugo l’a dit de telle sorte qu’il faut toujours revenir à lui pour le dire : « Tout ce qui était saillie, relief, couleur, haleine, mouvement, vie et âme, a disparu... Où est le souffle qui faisait tourbillonner toutes ces idées comme des feuilles dans l’ouragan ? Voilà bien le mot, mais où est le geste ? Voilà le cri, où est l’accent ? Voilà la parole, où est le regard ? » M. de Mun avait le geste, l’accent, le regard. On peut dire qu’en prenant possession de la tribune, il prenait possession de l’Assemblée. Sa haute taille, sa distinction, sa fière élégance imposaient le respect et l’attention. On sentait que ce talent, mis au service d’une conscience, n’était jamais inspiré par un intérêt ou par un calcul personnel. La voix était claire, la diction nuancée, le geste sobre. Quand les interruptions le pressaient et déchaînaient le tumulte, M. de Mun restait maître de lui, face aux adversaires, impassible et dédaigneux, haussant les épaules d’un léger mouvement qui lui était familier. Il répliquait, souvent même avec bonheur, mais la riposte n’avait ni la flamme, ni le mouvement, ni l’ironie du discours. M. de Mun avait plus d’esprit dans la conversation qu’à la tribune. D’autres provoquent les interruptions, soit qu’elles fouettent leur verve, soit qu’elles fassent diversion à leur embarras ; il ne les redoutait pas, mais ce n’est pas dans le jeu des répliques, contraire à la belle ordonnance d’un discours, que s’exerçait sa maîtrise. Il ne ressemblait pas sur ce point à Mgr Freppel, dont la bonne humeur ne répugnait pas à des plaisanteries faciles ou à des réparties piquantes, dont la Chambre tout entière s’égayait. M. de Mun, même à la tribune, gardait ses distances. La camaraderie parlementaire n’avait pas de prise sur lui et le bon socialiste Coutant, qui tutoyait tout le monde dans tous les partis, n’avait pas osé risquer cette incorrection. A vrai dire, toute la Chambre estimait M. de Mun, et ce n’est pas seulement de son parti qu’il était la parure. Jaurès se plaisait à causer avec lui et à prolonger dans les couloirs, sur un ton moins tendu, les discussions de la salle toute voisine.