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Quel était son secret ? M. de Mun nous l’a livré dans une page émouvante et nuancée qui est une véritable confession : « Aucun discours, écrit ou non, ne peut être vraiment sérieux, s’il n’a été fortement préparé par la lecture et par la méditation. Lire, le crayon à la main, voilà le premier travail oratoire. Après cela, il faut composer, et c’est la souffrance, que connaissent bien tous ceux qui ont essayé de faire passer dans d’autres âmes quelque chose de la leur. Les matériaux sont là, en monceaux : lesquels choisir, comment les disposer ? Les idées se pressent, haletantes, assiègent le cerveau : comment les ordonner ? Quelle en sera l’expression saisissante ? C’est un combat qui se livre d’abord dans la nuit ; tout à coup, comme le soleil perce la nue, l’inspiration s’élance, dissipe l’obscurité, illumine le sujet. Le discours a pris corps, mais un corps fugitif qui se dérobe, et qu’il faut saisir, embrasser étroitement, jusqu’à ce que, dans une véritable ivresse de l’esprit, la pensée maîtresse se fixe, lumineuse, en un point culminant vers lequel il faudra, tout à l’heure, entraîner l’auditeur dompté. Alors, les nerfs tendus par ce grand effort, l’orateur peut paraître : il est prêt. Sauf les cas très rares, où, sous l’empire d’un événement imprévu, le cœur se précipite aux lèvres dans une soudaine explosion, l’improvisation elle-même n’est vraiment oratoire que si elle naît de ce long travail. Il faut qu’elle en jaillisse, comme la feuille s’échappe brusquement du bourgeon, lentement formé par la sève accumulée : sans quoi, elle n’est que le vide assemblage de parole sonores et la confuse expression de pensées imprécises. »

Aucun orateur digne de ce nom ne contredira ces aveux. L’éloquence est un don, mais il n’est pas de don qui se suffise moins à lui-même. Qui donc l’a définie « une facilité naturelle et une difficulté apprise ? » Ceux-là ne devraient pas parler qui n’ont pas appris la difficulté de la parole. Chaque orateur a ses procédés : celui-ci lit, avec plus ou moins d’habileté ; celui-là récite, avec plus ou moins d’art ; un troisième lit et récite, mais aucun n’improvise, au sens courant où le public l’entend. C’est Berryer qui l’a dit, et quel témoignage vaut le sien ? « Savez-vous le secret des improvisateurs : c’est qu’ils n’improvisent