Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérer le travail « comme une marchandise, » mais comme « l’acte de la vie humaine le plus noble de tous et dont on ne saurait tracer les règles en faisant abstraction de l’homme qui en est l’auteur. » II prenait à son compte le mot si profond de Louis Blanc : « Quand les armes sont inégales, la liberté n’est que l’hypocrisie de l’oppression. » Et, pour rétablir une égalité nécessaire, non seulement il préconisait l’association professionnelle et même, d’un mot plus bref et plus clair, le syndicat, mais il ne reculait pas devant l’intervention de l’Etat pour assurer au travail les conditions et les garanties sans lesquelles, abandonné à lui-même et traité comme une marchandise, il abolit la liberté, la dignité et jusqu’au bien-être du travailleur.

M. de Mun a été le collaborateur et parfois même le précurseur de toutes les grandes lois ouvrières de la République, avant même que l’Encyclique Rerum Novarum eût tracé, avec une si admirable hauteur de vues, leurs devoirs sociaux aux catholiques. Sur ce terrain, s’il lui arrivait d’étonner et peut-être même d’alarmer ses amis, il avait la bonne fortune de se rencontrer avec ses adversaires et de créer ainsi autour de sa personne une atmosphère de déférente et unanime sympathie. Je me souviens d’un discours qu’il prononça devant la Chambre sur le travail des femmes et des enfants, au milieu d’une attention qui prit tout de suite le caractère d’un hommage. L’esprit de parti avait abandonné ses rancunes, et, d’un banc à l’autre, tous les députés cédaient à l’irrésistible talent de M. de Mun. La ferme autorité de sa conviction, la clarté de sa parole, le charme de sa voix, l’élégance aisée de sa tenue, avaient vaincu les plus rebelles. Habitué dans les débats politiques aux interruptions passionnées et parfois même désobligeantes, M. de Mun, écouté en silence dans ce débat social où il imposait peu à peu sa thèse, avait la modestie de rester simple et son discours gardait le ton d’une causerie. Son éloquence d’ailleurs, même dans les heures les plus ardentes, n’était jamais ni tendue ni déclamatoire. Elle s’élevait au sommet d’un large coup d’ailes, mais elle ne dédaignait pas ces « coteaux modérés » où la raison est plus à l’aise pour avoir raison.