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précis l’étendue de ses desseins. A première vue, la Contre-Révolution, c’est l’Ancien Régime. M. de Mun se défendait de vouloir ce retour en arrière. Sa loyauté reconnaissait que le temps avait détruit pour jamais des privilèges dont les abus avaient tué la raison d’être, et même il n’hésitait pas à dire que « le pouvoir absolu, trouvant en lui-même son propre châtiment, avait succombé sous le poids de ses fautes et d’une corruption qui avait envahi les classes les plus élevées de la société et jusqu’aux abords du trône. » Que voulait-il donc ? Ni l’Ancien Régime, ni la Révolution, mais une société chrétienne, fondée sur l’alliance de l’Église avec l’État, et résolue à un grand travail de réforme sociale dont la reconstitution des Corporations serait une condition essentielle. Quand on veut dégager des discours de M. de Mun l’idée dominante, on en arrive à résumer son programme dans cette formule que j’ai employée il y a vingt ans sans qu’il l’ait contredite : l’organisation du régime corporatif légalement obligatoire sons l’inspiration et sous la direction de l’Église catholique. M. de Mun avait des accents de frémissante colère et de noble indignation quand il dénonçait les décrets de 1791 qui avaient interdit toutes les espèces de corporations et méconnu les intérêts communs des ouvriers. Mais le procès qu’il faisait à la Constituante remontait jusqu’à l’ancien régime et jusqu’à Turgot, dont les édits de 1776 avaient précédé et préparé l’œuvre de la Constituante, et ainsi se justifiait, dans l’ordre économique, la parole que M. de Mun appliquait à l’ordre philosophique et politique : « La Révolution était déjà dans l’Ancien Régime. »

Quoi qu’il en soit, les édits de 1776 et les décrets de 1791 procédaient de la même erreur contre laquelle les réalités de la vie sociale et les nécessités de la vie professionnelle devaient inévitablement réagir. L’illusion de M. de Mun était de croire que l’on pouvait ressusciter le passé et faire de la confrérie l’antichambre de la Corporation. Je cite encore M. d’Haussonville : « La Corporation chrétienne est sûrement la plus colossale chimère au service de laquelle des gens de cœur et de talent puissent dépenser leur temps et leurs forces- » Mais si M. de Mun commettait l’erreur politique et sociale de confondre le domaine économique et le domaine religieux, il avait raison de ne pas accepter la doctrine du laisser faire, laisser passer où se complaisait l’économie libérale. Il avait raison de ne pas