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peut exprimer des doctrines absolues et mépriser, du haut de la chaire, des contingences qu’il domine. Quand on est mêlé à l’action, que l’on vit au milieu des hommes et qu’on veut les convertir à sa cause, l’intransigeance, si elle est une vertu méritoire, n’est pas une vertu efficace. Certes, M. de Mun n’avait rien d’un sermonnaire : la tribune n’était pas pour lui une chaire, mais les théories absolutistes de Bonald, de Joseph de Maistre et de Veuillot avaient mis sur lui une telle empreinte qu’il ne reculait devant aucune de leurs conséquences et que leur orthodoxie, plutôt agressive, passait sans atténuations de leurs livres dans ses discours. Ses adversaires s’en irritaient, mais j’ai dit aussi que ses amis s’en étonnaient ou s’en affligeaient. Par exemple, M. de Maistre désirait pour la France un gouvernement qui acceptât d’être le soldat de l’Eglise et, suivant la pittoresque expression de saint Louis, le « Sergent du Christ. » Cette conception du XIIIe siècle peut-elle convenir au XXe ? M. d’Haussonville ne le pensait pas et il disait publiquement à M. de Mun, avec l’appui décisif de l’histoire, que, dans les questions de politique intérieure, cette alliance étroite entre l’Eglise et l’État était a également dommageable au Gouvernement qui la conclut et à l’Église qui l’accepte. » M. d’Haussonville, d’ailleurs, ne se bornait pas à repousser cette subordination de l’Etat à l’Eglise que prêchait M. de Mun. Sa « fierté de catholique » ne redoutait ni l’expérience ni l’épreuve d’une séparation à laquelle il demandait seulement d’assurer à l’Église « le droit commun dans la liberté. » M. de Mun voulait plus. Un de ses ancêtres avait choisi pour armes un globe surmonté d’une croix, et pour devise ces deux mots : « Nil ultra ». Cette devise héraldique répondait à la conscience catholique de M. de Mun, mais en la transportant du domaine religieux dans le domaine politique, ne risquait-il pas de dépasser la grande parole qui laissait à César ce qui est à César ? Il haïssait la Révolution française, non par rancune d’émigré, mais par passion d’apôtre, et cette passion emportait tout. On peut être sincère sans être impartial : M. de Mun avait la sincérité d’un inexorable parti pris. Il ne répudiait pas seulement 1793, il condamnait 1789. La Déclaration des Droits de l’homme était, à ses yeux, une charte satanique dont il n’acceptait aucun principe, et les débordements du fleuve en viciaient, pour lui, jusqu’à la source. J’ai relu la Déclaration célèbre, plus célèbre