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l’enthousiasme de cette foi agissante. Certes, les cent trente comités de l’œuvre et ses cent cinquante cercles n’étaient pas une quantité négligeable. Mais, sur huit millions d’ouvriers, combien avaient répondu à l’appel adressé dès 1871 aux Hommes de bonne volonté ? Environ quinze mille ; c’était peu pour un si grand effort. M. de Mun s’en rendait-il compte quand il parlait des jours d’épreuve et des ombres de l’avenir ? Peut-être, mais il n’en ouvrait pas moins son cœur généreux à la confiance, et jamais encore il n’avait mené le combat avec cette vigueur, cette franchise, cette ardeur menaçante, qui donnaient aux doctrines de Joseph de Maistre l’expression d’une véritable déclaration de guerre. L’arrière-petit fils d’Helvétius se levait comme un nouveau Polyeucte pour briser l’idole révolutionnaire que les générations précédentes avaient encensée et pour juger l’œuvre moderne sur les fruits qu’elle avait portés. Le réquisitoire était impitoyable. Quand on accuse Satan, il est difficile de garder la mesure, et, cette fois, Veuillot dut être content du sabre qu’il y avait dans le discours de M. de Mun, où le génie de la Révolution, secoué au nom du Syllabus comme l’arbre du mal, ne pouvait pas se flatter de découvrir la concession la plus légère. Vous vous doutez bien de toutes les objections que je devrais faire, si j’abordais le fond du débat, et je ne serais même pas en peine de trouver des amis de M. de Mun qui, sympathiques à son effort, condamnaient sa manière un peu rude et lui reprochaient le radicalisme de sa foi. Mais ayant marqué d’un trait, quitte d’ailleurs à y revenir, les réserves nécessaires, je dois dire que le discours du 22 mai 1875 accuse, au point de vue oratoire, un progrès significatif.

M. de Mun entrait dans la pleine possession de tous ses moyens. Il avait une voix puissante et claire dont tous les auditeurs subissaient la séduction. A Lorient, un matelot qui venait de l’entendre, disait de lui : « Il a causé une heure, et il n’a pas craché une fois ; c’est un homme ! » Ce pittoresque éloge ne laissait pas l’orateur indifférent. Mais déjà il mettait mieux que sa voix au service de ses opinions. Ses premiers discours étaient mal ordonnés ; on y sentait comme un flottement, et l’énergie de leur accent ne dissimulait pas la mollesse de leur composition. Le ton était entraînant, mais les idées se traînaient encore, peu sures de leur force, dans des allocutions où l’imprécation tenait trop souvent lieu de logique. Au bout de quatre