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Ce fut son premier discours. Il s’était senti, dans des réunions de camarades, quelque facilité de parole, mais, ne se croyant pas orateur, il avait écrit et appris son allocution. Ce début fut un acte de foi, où le soldat et le chrétien associèrent leurs espérances. La composition du discours trahit quelque inexpérience, et, malgré la chaleur de l’accent, il s’en faut que le talent oratoire de M. de Mun s’y soit révélé. Il n’en produisit pas moins un grand effet sur l’auditoire, mais ce fut surtout l’auditoire qui s’empara de l’orateur et lui laissa l’impression d’un mystérieux dialogue où les cœurs s’étaient donnés. M. de Mun ne s’appartenait plus. Il appartenait désormais, irrésistiblement et tout entier, à l’œuvre qui venait de recevoir son serment solennel. Ce fut à Belleville, le 7 avril 1872, qu’il en traça le programme dans une réunion modeste, dont les succès qu’il remporta depuis devant des milliers d’auditeurs ne purent jamais effacer le souvenir. Il fit valoir les avantages matériels des cercles, leur atmosphère d’apaisement et d’égalité. Mais il insista surtout, au point de vue religieux, sur l’acte de foi catholique dont ils étaient l’expression, et, au point de vue économique, sur la nécessité de relier le passé avec les besoins des temps modernes par l’organisation professionnelle, que la destruction des Corporations avait brusquement interrompue. Cette double idée de la contre-révolution catholique et de l’organisation corporative inspira toutes les campagnes que M. de Mun fit en France pendant trois ans. De province en province, et de ville en ville, il poursuivit une propagande ardente, passionnée, éloquente, dont il s’exagérait sans doute les résultats, mais dont le bruit fut immense. Son talent, qui grandissait, était l’attrait de ces réunions, mais son uniforme de dragon ou de cuirassier, qu’il portait avec une crânerie aisée, ne nuisait pas à leur succès. Cet uniforme n’était pas un défi, mais il était un péril. Double péril : par les espérances qu’il éveillait d’un côté, et par les craintes qu’il suscitait de l’autre.

Louis Veuillot avait exercé une grande influence sur M. de Mun, en lui démontrant le rôle que l’Eglise romaine avait joué dans le monde à travers les siècles. Le grand polémiste restait attentif à la carrière de celui qui devenait, de discours en discours, un grand orateur. Il l’entendit pour la première fois dans une de ses conférences de la rue de Grenelle. Il reconnut en lui un « homme de bien et bien disant, » mais il voulait davantage,