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bien distinguer dans tous ces crimes la part des responsabilités qui leur revient, au lieu de se ruer dans une lâche réaction où se complaît la mollesse des caractères, lis vont encore supprimer la question sociale qui est la seule dont il faille avant tout s’occuper et substitueront une camisole de force à la moralisation.


Ces pensées, ces préoccupations, ces responsabilités, ces devoirs trouvèrent leur expression la plus forte dans une conversation que le frère Maurice Maignen, de la Congrégation de Saint-Vincent de Paul, eut, en novembre 1871, avec M. de Mun. Fils d’un garde du corps du roi Charles X, et passé, sous l’empire d’une conviction ardente, de la pratique des arts au service de la religion, M. Maignen dirigeait au boulevard Montparnasse un « Cercle de Jeunes Ouvriers » qui avait compté Augustin Cochin parmi ses fondateurs et en faveur duquel Mgr Mermillod avait prononcé à Sainte-Clotilde un sermon demeuré fameux. Le frère Maignen, reçu au Louvre par le lieutenant de Mun, montrait du doigt les murailles calcinées des Tuileries en ruines, et, transfiguré, il disait d’une voix où vibrait un accent dominateur : « Oui, cela est horrible, cette vieille demeure des rois incendiée, ce palais détruit, où tant de fêtes éblouirent les yeux. Mais qui est responsable ? Ce n’est pas le peuple, le vrai peuple, celui qui travaille, celui qui souffre ! les criminels qui ont brûlé Paris, n’étaient pas de ce peuple-là... mais celui-là, qui de vous le connaît ? Ah ! les responsables, les vrais responsables ! c’est vous, ce sont les riches, les grands, les heureux de la vie, qui se sont tant amusés entre ces murs effondrés, qui passent à côté du peuple sans le voir, sans le connaître, qui ne savent rien de son âme, de ses besoins, de ses souffrances... Moi, je vis avec lui, et je vous le dis de sa part, il ne vous hait pas, mais il vous ignore comme vous l’ignorez : allez à lui, le cœur ouvert, la main tendue, et vous verrez qu’il vous comprendra. »

Ces paroles enflammées, ces reproches sévères, cet appel impérieux, prirent possession de l’âme d’Albert de Mun, que le premier regard du frère avait déjà conquis. Son avenir se décida : il avait trouvé sa voie et toutes ses hésitations étaient vaincues. Il avait promis de présider la prochaine assemblée du Cercle. Il y vint en dolman bleu de ciel, les aiguillettes d’argent à l’épaule, et, au côté, un sabre à poignée d’acier droit et léger.